Le tueur de Boston
Peu gâté par la nature et victime d’une mère possessive, Léo Kroll, ouvertement névrosé, étrangle des jeunes femmes dans leur appartement, avant de mettre leurs corps en scène dans des postures précises. Tandis que la police mène l’enquête sur ces crimes au fétichisme poussé, et le croise à de multiples reprises au cours de ses investigations, Kroll tombe amoureux d’une jeune fille qui ne l’aime cependant pas en retour. Ce contrecoup à ses vues le rendra-t-il moins prudent que jusqu’alors et le confondra-t-il ?
Le cinéma américain a tôt eu de l’enclin pour les criminels que la société occidentale engendrait.
A ce titre longtemps, si l’on néglige les sources littéraires (Stevenson et consorts), l’unique figure tutélaire de Jack l’Eventreur, authentique tueur britannique sévissant dans le Whitechapel victorien, régna sans partage sur l’imaginaire des producteurs.
Il fallut attendre 1960, et le choc PSYCHOSE d’Alfred Hitchcock (qui s’inspirait certes d’un roman de Robert Bloch (spécialiste par ailleurs de Jack l’Eventreur !) mais celui-ci devait s’inspirer des monstrueux méfaits du tueur en série Ed Gein afin de construire son récit) pour qu’une nouvelle donne, plus moderne et moins folklorique, soit proposée au genre criminel.
Et si ce sous-genre, mêlant psychologie, sordide et crime, ne se nourrira pas exclusivement de crapoteux faits divers, nombre de ses plus emblématiques représentants s’appuiera néanmoins sur d’authentiques (et horribles) histoires.
Et l’histoire d’Albert de Salvo (qui sévit à Boston de juin 1962 à janvier 1964, laps au cours duquel il fit 13 victimes) ne devait pas être ignorée par Hollywood (deux évocations en quatre ans). Elle fut même “battue” tandis qu’elle était encore “chaude”, puisque le film de Burt Topper devait sortir trois mois après le dernier meurtre et avant même que l’homme ne soit condamné à la prison à perpétuité par la justice (sa mort dans le film est donc un “fait de scénario”).
On ne se figurera pas, en voyant LE TUEUR DE BOSTON, que seule la thématique “commune” avec PSYCHOSE permette de rapprocher les deux films. Il est évident que la dimension pathologique et l’envahissant rapport à la mère jouent ainsi sur la psyché des deux oeuvres (on pourra même déceler un “facétieux” clin d’oeil de Topper à Hitchcock lors d’une scène de douche que le réalisateur amorce pour y renoncer, comme une perche tendue au public aguerri et prompt à traquer l’analogie). Hitchcock dont encore on suppute une franche influence dans le dynamisme des raccords entre les séquences ou la circulation de la caméra dans un espace, qui ne sont pas sans rappeler les merveilles techniques accomplies par le maître du suspense dans LA CORDE.
Pour s’en tenir encore au registre des familiarités cinéphiles, l’amateur pourra aisément deviner dans ce STRANGLER une source vraisemblable d’inspiration pour le réalisateur William Lustig lorsque celui-ci rédigera le script de MANIAC (1980).
Les deux personnages-titres sont en effet furieusement bridés par une figure maternelle écrasante (bien que simplement fantasmée dans MANIAC puisque la mère du tueur est déjà morte et ne lui parle, comme celle de Norman Bates dans PSYCHOSE, que dans son esprit). Mais ils sont surtout entourés de fétichistes et transitionnels artefacts féminins (des poupées pour LE TUEUR DE BOSTON, des mannequins de vitrine pour MANIAC), substituts quasi-grotesques à leur absence de rapports réels, concrets, charnels, avec les femmes (tous deux ont pourtant jeté leur dévolu “bienveillant” sur une fiancée en puissance, mais qui les rejetteront). Et à bien y réfléchir, le tueur de PSYCHOSE, tout schizophrène/travesti était-il, conservait lui aussi une représentation, un fétiche féminin, en la “personne” du cadavre de sa mère.
Modeste dans sa production, le film sera toutefois presque remaké en 1968 par Richard Fleischer (L’ETRANGLEUR DE BOSTON et son fameux split-screen, quelques mois avant que L’AFFAIRE THOMAS CROWN ne popularise le procédé), avec Tony Curtis et Henry Fonda dans les rôles principaux. Plus confortable dans son budget, la production s’en tiendra néanmoins à un angle commun au film de Topper: l’observation quasi-clinique, l’enquête policière dans son plus parfait pragmatisme et la révélation (douloureuse autant que courageuse) d’une maladie mentale sans jamais la juger moralement.
Aussi “exploitant” qu’ “inspirateur”, LE TUEUR DE BOSTON s’impose comme un jalon de choix dans un genre alors naissant et qui allait avoir de beaux jours devant lui: le psycho-killer.