Les évadées du camp d’amour
Dans une jungle indéterminée, le directeur d’une prison tyrannise les (jolies) délinquantes incarcérées, n’hésitant ni à brutaliser ni même à tuer quiconque ose lui résister. Il est épaulé par une équipe de brutes épaisses, toujours prête au viol, et d’une matrone peu accorte, elle-même ancienne prisonnière. Dans leurs cellules, les jeunes femmes ont tôt fait de sympathiser et plus, car affinités. Ceci n’obère en rien la tendance naturelle de ce WIP à créer quelques conflits entre « pensionnaires », promptes à se crêper le chignon et surtout s’arracher les vêtements. Lassées des brimades continuelles de leur esclavage, nos pauvresses cherchent à s’évader en s’attachant l’aide du médecin de la prison, lequel fuit l’ambiance délétère de son travail dans les vapeurs de l’alcool.
L’italien Edoardo Mulargia s’est fait un nom dans le péplum et le western spaghetti. Après la disparition de ces deux genres, on le retrouvera aux commandes de quelques autres films de genre italien, notamment érotiques. Il signe ici de son pseudo Edward G. Muller dans la tradition transalpine de l’époque d’angliciser le produit.
Ce Women in prison (WIP) ne déroge en rien aux règles du genre. On pourrait même dire qu’il s’agit d’un archétype de ces films toujours hyper codifiés. Les évadées du camp d’amour reprend donc tous les passages obligés classiques : sadisme des gardiens-bourreaux versus saphisme de leurs pensionnaires-victimes, scènes de douches et de catfight – prétexte aux nudités gratuites -, etc. Les prisonnières endossent les rôles vus dans tous les autres WIP : la chef de bande, la souffre douleur, la rebelle…
Rien de neuf sous le soleil donc. Mais le WIP n’est pas le genre le plus porté sur l’innovation. Il répète à l’envi les figures imposées définies depuis la fin des années ’60, notamment dans 99 MUJERES de Jesus Franco. Ce dernier recyclera d’ailleurs abondamment ce titre séminal au cours de la décennie suivante.
En 1979, Mulargia s’engage donc dans un genre bien balisé. Il lui suffit de photocopier les travaux de ses prédécesseurs.
Et pourtant…
Quelque chose donne à ces EVADEES DU CAMP D’AMOUR un surcroît d’intérêt. Le WIP s’est souvent morfondu dans les tréfonds des séries Z, vite bâclées par quelques tâcherons privés de budget, d’ambition et plus encore de talent. Or, Mulargia, s’il ne fait pas partie des plus grands du cinéma italien, reste un faiseur honorable. Ici, il soigne son produit, aidé par un budget décent (pour le genre entendons-nous, lequel n’exige, il est vrai, que très peu de picaillons) qui lui permet de grossir les rangs des prisonnières et autorise l’un ou l’autre mouvement de caméra à la grue, mieux à même de nous faire profiter du décors.
La moiteur de la jungle nous offre des corps poisseux de sueur qui contribuent grandement à l’ambiance d’oppression mais aussi de perversion sexuelle du camp. Muller en arrive même à expédier certains des passages obligés en ne s’attardant ni sur la douche ni sur le combat entre prisonnières. Il organise donc correctement son montage au profit du déroulement de l’histoire, sans céder à l’hyper gratuité des scènes érotiques de certains de ses confrères, lesquelles viennent trop souvent en porte-à-faux avec le déroulé du rythme.
Au casting, Anthony Steffen a délaissé les oripeaux du cow-boy vengeur, personnage archétypal des westerns et qui lui ont fait un nom, au profit de la blouse (enfin, tout est relatif : il est souvent torse nu) du médecin. Ce n’est que troquer un archétype contre un autre, le médecin de prison étant récurrent dans le WIP puisqu’il offre un (semblant de) conflit moral, tiraillé entre son serment d’Hippocrate et les injonctions sadiques de sa direction (le serment d’hypocrite donc).
Le diptyque ouvert par LES EVADEES DU CAMP D’AMOUR (ou triptyque si on inclut SAVAGE ISLAND) offrira à Anthony Steffen un de ses derniers grand rôle.
Le transsexuel Ajita Wilson émoustillerait le macho le plus homophobe. Sa présence dans ce genre ajoute une pointe de piquant : le WIP s’épanouit à une époque de revendication sexuelle troublée et marque, par un fort machisme (parfois masqué derrière une pseudo dénonciation de l’oppression subie par les femmes), une réaction au féminisme qui déstabilise alors le monde masculin. L’érotisme transsexuel réintroduit une note d’incertitude sur la distinction homme (oppresseur) – femme (soumise et humiliée). Ajita Wilson poursuivra d’ailleurs dans le film de prison avec d’autres vieux briscards : SADOMANIA (Jess Franco) et DETENUTE VIOLENTE (Sergio Garrone).
Pour l’anecdote, Christina Lai qui joue Vivienne a été miss Italie 1978 (sous le nom de Loren Cristina Mai).
Au passage et pour l’anecdote encore, on notera la proximité sémantique du titre originel FEMINILE INFERNALI avec les deux WIP « Emanuellien » avec Laura Gemser, dirigé deux ans plus tard par feu l’ineffable Bruno Mattei : VIOLENZA IN UN CARCERE FEMMINILE d’abord puis EMANUELLE FUGA DALL’INFERNO. Quand au titre français des EVADEES DU CAMP D’AMOUR, il joue sur le terme « camps » alors classique pour les WIP et les nazisploitation (LE CAMP SPECIAL NUMERO SEPT, CAMP D’AMOURS POUR CHIENS JAUNES, CAMP EROTIQUE…) tandis que « Camps d’amour » sera le titre français d’un Emanuelle-like (DIVINE EMMANUELLE) de Christian Anders et qui sortira peu après LES EVADEES DU CAMP D’AMOUR et sa suite
Il s’agira de l’avant dernier film de son réalisateur, tourné en 1979, juste avant (ou en même temps que, selon certains) ORINOCO: PRIGONIERE DEL SESSO, autre WIP réalisé par la même équipe (scénariste, acteurs…) et sorti à Paris en octobre 1981 sous le titre croquignolet de LA FIN DES TORTIONNAIRES DU CAMP D’AMOUR NUMERO DEUX.
Un dernier avatar sous forme de séquelle émergera en 1985 et se résume à un remontage des deux films, agrémentés de 10 minutes de scènes additionnelles. Ce tripatouillage est sorti sous le titre SAVAGE ISLAND.
LES EVADEES est sorti en France en mai 1980 et en Belgique en 1981.