Les petits meurtres de Noé – Roman – critique
Les petits meurtres de Noé de Marie-Sophie VILLARD, une histoire originale et haletante parue chez Faute de frappe.
Manon tombe enceinte d’un « coup d’un soir ». Le garder ? Ne pas le garder ? Faire comme s’il n’existait pas et on verra ? Les premières pages de cette histoire présentent une jeune femme indécise et terriblement seule. Le lecteur suit les réflexions mentales de Manon, ses blessures, ses doutes et ses espoirs. Même si la situation semble lui passer un peu au-dessus de la tête, elle accomplit finalement les actes « attendus » par la situation. Ainsi, elle consulte et lors de l’échographie, le gynéco lui annonce qu’une tache caractéristique et rare désigne son enfant comme prédestiné. Cela veut dire que pour cet enfant à naître, une personnalité, un métier, un futur sont déjà tracés. Une nuit, elle rêve qu’il va devenir un tueur en série… et accouche.
Les petits meurtres de Noé narre l’histoire de cette mère face à son enfant alors qu’elle est persuadée qu’il va devenir un monstre. Comment combattre le destin ? Comment évaluer les conséquences possibles de chaque action ? Le lecteur est plongé au coeur des craintes de Manon puis voit évoluer ce couple mère-enfant qui navigue dans ce contexte de non-dits et de peur constante que le sombre avenir advienne.
Une histoire racontée sous un prisme original
Les histoires de tueurs en série sont légion. Le lecteur côtoie généralement trois types de situation, des histoires racontées du côté des victimes, des enquêteurs, des tueurs. En revanche, il est bien peu commun de lire une histoire qui se place du point de vue du géniteur du malfaisant. Est-il une autre victime ? Est-il lui aussi coupable de la tragédie pour avoir engendré/éduqué le monstre ? Voir le tueur en série par le prisme de ses parents, ce qu’ils pensent, ressentent, leurs lâchetés et leurs regrets est diablement singulier et intéressant. Avec Les petits meurtres de Noé, en dépeignant la vie de cette mère d’un tueur prédestiné, Marie-Sophie VILLARD plonge le lecteur dans une histoire aussi originale qu’haletante.
Des émotions intenses portées par une plume incroyable
L’auteur offre un style fantastique, concis, efficace, terriblement évocateur. Grâce au talent de l’auteur, les émotions prennent littéralement vie sous les yeux du lecteur estomaqué. Marie-Sophie VILLARD fait en outre montre d’une honnêteté fascinante. Elle livre les réflexions de Manon, extrêmement intimes, sans pudeur ni concession. Cette peinture crue des émotions et questionnements du personnage s’avère très rafraîchissante et installe le lecteur dans une proximité, un sentiment de reconnaissance et de compréhension puissants.
Les petits meurtres de Noé est construit par l’auteur pour s’affranchir du superflu et conserver l’essentiel. Le nombre réduit de personnages évite la dispersion. L’action ultra édulcorée concentre l’attention aux réflexions brutes. Les émotions mises à nu plongent le lecteur dans un récit étrange et troublant.
Et en point d’orgue de ce court récit de 286 pages, l’auteur fait preuve d’une belle habileté lors du dénouement. En effet, le lecteur dévore les dernières lignes sans émettre de condamnation ni de jugement moral, quand bien même il aurait été molesté dans ses croyances et convictions ; le pari de l’auteur du début est atteint.