Sueurs Froides en version papier

Au sommaire du numéro 37 : Dossier Val Lewton, Nancy Drew, Biographie de Ulli Lommel, la saga Flower and Snake, la franchise Leprechaun, entretien avec Patrice Herr Sang, Entretien avec Marian Dora.
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France - 2013 - Yann Gonzalez
Titres alternatifs : You and the Night
Interprètes : Kate Moran, Niels Schneider, Nicolas Maury, Éric Cantona, Fabienne Babe, Alain-Fabien Delon, Julie Brémond, Béatrice Dalle

Un texte signé Philippe Delvaux

Les rencontres d’après minuit

Un appartement, une nuit. Matthias, sa compagne Ali et leur « bonne » Udo – un travesti – invitent « la star », « l’étalon », « l’adolescent » et « la chienne », pour une orgie. Mais leur rencontre révélera fractures, blessures et mal-être, avant de, peut-être, trouver la rédemption qu’apporte l’aube.

Premier long métrage de l’ancien critique Yann Gonzalez, dont les courts avaient été sélectionnés dans les festivals les plus prestigieux, LES RENCONTRES D’APRÈS MINUIT détonne dans le paysage cinématographique français.

Très arty, doté d’une photographie et d’une direction artistique travaillée, notamment pour la gamme chromatique, et nimbé d’une lumière parfaitement étudiée, le film s’oppose frontalement au naturalisme englobant la majorité de la production hexagonale pour lui préférer une poésie picturale à même d’engendrer du Cinéma pur, « C » majuscule à l’appui. A y regarder de plus près, cette sortie des ornières réalistes dans lesquelles s’engluent trop de films français est nettement moins isolée qu’on pourrait le penser. A y regarder de plus près, on décèle nombre d’autres tentatives contemporaines pour sortir du cadre naturaliste ou tenter une atmosphère à la limite du fantastique sans rentrer pour autant franchement dans un ciné de genre qui reste difficile à exploiter en France : MORTEM, TIP TOP, CARRÉ BLANC, SIMON WERNER A DISPARU, le retour gagnant de Jodorowski (LA DANSE DE LA RÉALITÉ) ou celui de Léo Carax (HOLY MOTORS), tout le cinéma de Quentin Dupieux ou celui de Marina De Van… Autant d’exemples récents qui fleurètent plus ou moins avec le fantastique, sans se départir d’une aura auteurisante de bon aloi.

Inséré dans cette mouvance hétéroclite, Le film de Yann Gonzalèz se placerait cependant plutôt dans la filiation de Jean Rollin, mâtiné d’un soupçon du Bertrand Blier du BRUIT DES GLAÇONS. On retrouve en effet l’atmosphère fantastique chère au premier. Mais là où le petit maitre de la série z française à vocation poétique entrelardait ses productions de nudités, obligé à cela par le réseau de distribution des salles de quartier dans lequel il se trouvait confiné, Yann Gonzalez se contente de prendre le prétexte de la partouze comme révélateur des blessures intimes des protagonistes et sans devoir dès lors se vautrer dans la nudité de complaisance. Peu d’érotisme donc, du moins dans sa conception classique. Ce qui ne veut pas pour autant dire un film bégueule… Et Gonzalèz de nous envoyer un frontal du membre viril de « l’étalon » – un Eric Cantona bien doté.

Au rang du casting, on note également une apparition de Béatrice Dalle, une abonnée des films zarbi, pour un fantasme SM de domination, cage et fouet à l’encontre du personnage de Cantona. Ce dernier exhibant son sexe est d’ailleurs une bonne trouvaille de casting puisqu’il relie le personnage à un acteur nanti d’une aura fantasmatique certaine. Au rang des fantasmes toujours, Alain Delon se retrouve à l’affiche… Oui, vous avez bien lu « Alain Delon »… ou plus précisément Alain-Fabien Delon, fils de, et qui a la bonne idée de chercher à se démarquer par ce premier choix plutôt osé.

Pour revenir encore à la famille cinématographique dans laquelle baigne ces rencontres, on a parlé certes de Jean Rollin, mais la référence la plus proche qui nous vienne à l’esprit est cependant l’assez obscur, quoique très récent, MORTEM, d’Eric Atlan. Dans les deux cas, un huis-clos parfaitement arty d’atmosphère fantastique, peuplé de personnages hiératiques, acclamé par la critique et les festivals. MORTEM semble cependant ne pas avoir connu une grande carrière en salle en dépit des nombreux prix glanés ici et là : en Belgique où nous l’avons découvert, il est sorti sur une copie unique, une seule semaine, pour un total de 7 séances qui n’ont pas dû atteindre 30 spectateurs (extrapolation de notre part, l’auteur de ces lignes était seul dans la salle lors de l’une de ces séances). Souhaitons que LES RENCONTRES D’APRÈS MINUIT ait rencontré plus de succès.

LES RENCONTRES D’APRÈS MINUIT ressort clairement aux films d’auteur, mais dans sa frange un peu bizarre et bâtarde, à même donc d’intéresser le lecteur de Sueurs Froides. Petit spoiler ici (sautez éventuellement un paragraphe), mais sans gravité puisque nous ne sommes pas au cœur de la thématique : à l’instar du MORTEM déjà cité, LES RENCONTRES D’APRÈS MINUIT traite de la prolongation ou retour à la vie d’un personnage déjà mort. C’est son côté fantastique, qui nous le fait donc inclure dans le corpus analysé par Sueurs Froides. On y trouve une inversion du mythe d’Orphée et Eurydice : ici, c’est Matthias qui est ramené à la vie, avec succès cette fois, par Ali, non pas suite à un voyage aux enfers mais bien par la magie d’un gitan travesti qui pose ensuite comme condition de former un couple à trois pour qu’il se nourrisse de l’amour des deux premiers.

Matthias est vivant à nouveau… mais est revenu borgne. Il a laissé un œil dans l’au-delà – le regard d’Orphée aura, lui, ruiné le retour d’Euridyce -. Mais cet œil, resté dans la tombe et qui laisse un Matthias mélancolique sur le seuil des deux mondes, nous renvoie, aussi, à cette question du regard, finalement très présent dans une partouze, où l’on jouit du mélange des corps, certes, mais aussi de leur contemplation, et qui est en outre la finalité même du cinéma, a fortiori lorsqu’il traite de sexe. Le point est encore souligné par le personnage de « la star », qui, initialement, n’accepte de participer à la partouze que pour autant que les lumières restent éteintes. Objet habituel de contemplation et terrorisée de révéler à la vue de tous les marques de son âge, « La star » veut, pour justement protéger son aura, se dérober aux regards. On notera pour en finir avec la note fantastique par une belle idée pour le visage de la Mort. L’interaction des personnages fait bien comprendre le travail du thème par le cinéaste.

Pour en revenir à la forme, on ne peut pas ne pas parler de la musique. Elle est signée de M83… derrière lequel se cache Anthony Gonzales, le frère du réalisateur. L’univers musical électro est un peu similaire à ce qu’on pouvait trouver par exemple dans DRIVE de Winding Refn. Y-a-t-il quelque chose de français dans cette tendance au cinéma bizarre acoquiné d’électro ? En tous cas, dans un registre plus techno, un autre exemple d’alliage réussi nous vient immédiatement en tête : Quentin Dupieux/Mr Oizo, à la filmographie plus qu’allumée.

Dans LES RENCONTRES D’APRÈS MINUIT, la musique se veut diégétique : par le biais d’une installation tactile high tech, les personnages peuvent déclencher une musique calquée sur leur humeur du moment. Ce genre de gadget est une bonne trouvaille scénaristique puisqu’elle fait dialoguer explicitement la musique avec la « couleur » des protagonistes et explicite en outre pour le spectateur, le rôle de la musique de film. La trame cinématographique se donne dès lors à voir avec intelligence.

S’il faut trouver une limite au film, c’est sans doute son parti pris théâtral. Les acteurs empruntent souvent la diction et la posture de l’art des planches. Pas forcément rédhibitoire, le procédé pourra cependant détourner certains du résultat. Si ce choix de direction peut venir en renfort du fantastique par le décalage qu’il induit, il agace aussi par moment. On peut clairement à ce titre parler de tic inhérent à une frange du cinéma français d’auteur.

En bref, s’il est empesé de quelques défauts, au rang desquels un hiératisme certain, LES RENCONTRES D’APRÈS MINUIT développe suffisamment d’arguments, formalistes ou thématiques pour emporter au final la mise.

Après sa sélection à La Semaine de la critique 2013, LES RENCONTRES D’APRÈS MINUIT est sorti en salles françaises le 13 novembre 2013. En Belgique, il a été programmé en février 2014 au Festival du Film d’Amour de Mons et à Offscreen.

Retrouvez notre couverture du festival Offscreen 2014.



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Article rédigé par : Philippe Delvaux

Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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