Over your dead body
Kosuke et Miyuki forment un couple, autant à la ville que dans cette pièce de théâtre dont les répétitions sont en cours. Kosuke y est Tamiya, le samouraï félon qui dans un premier temps tue le père de la femme qu’il courtise mais qui ensuite abandonne son foyer avant d’empoisonner sa compagne afin de refaire sa vie au sein d’une famille aisée qui saura mieux satisfaire ses ambitions. Et Miyuki joue Oiwa, la femme aimée puis délaissée avant d’être assassinée. Mais étrangement, le thème de la pièce semble contaminer ses acteurs. Car parallèlement aux répétitions, des péripéties semblables se déroulent au sein du casting : Kosuke abandonne Miyuki au profit d’une autre actrice. L’épouse abandonnée confond alors sa vie avec la pièce et s’imagine être enceinte, voulant dès lors avorter d’un bébé imaginaire. Et in fine, le fantôme ne hantera pas que les planches.
Même s’il s’est un peu calmé avec le temps, Takashi Miike reste ce réalisateur prolifique qui enquille les films les uns à la suite des autres. A peine sortons-nous de son STRAW SHIELD (en avril 2014, au BIFFF) qu’arrive déjà le suivant, OVER YOUR DEAD BODY, programmé en septembre 2014 à l’Etrange Festival, à peine un mois après sa sortie au Japon.
Et Takashi Miike maitrise de mieux en mieux son cinéma. Depuis quelques années, et à l’exception de STRAW SHIELD, il fonctionne sur un rythme de narration relativement lent qui nous amène vers un dernier acte en forme d’explosion. Il en était ainsi de sa version de HARA-KIRI ou de toute la première moitié des 13 ASSASSINS. Il en est de nouveau ainsi d’OVER YOUR DEAD BODY.
La portée du théâtre peut être métaphorique, son objectif peut être moral. L’art des planches a vocation à parler de notre société, de nos valeurs… La confusion entre une pièce et la vie de ceux qui la jouent fait d’ailleurs l’objet de nombreux films. Sans tous les citer, on retiendra THE BABY OF MÂCON de Peter Greenaway ou SYNECDOCHE, NEW YORK de Charlie Kaufman, voire le dernier Roman Polanski, LA VÉNUS À LA FOURRURE. Et en 2014, un autre film entre en résonnance avec celui qui nous occupe ici, on veut bien entendu parler du très beau CLOUDS OF SILS MARIA d’Olivier Assayas, où le fantastique est remplacé par une émanation de la psyché de Juliette Binoche. « Si l’art parle de la vie, n’est-il pas normal qu’il se confonde avec elle », semblent nous dire ces mises en abymes.
Quant au rapport de Takashi Miike avec le théâtre, on rappellera qu’il a procédé à la captation d’une pièce fantastique il y a quelques années, éditée en France en dvd sous le titre DEMON POND.
OVER YOUR DEAD BODY reprend Yotsuya Kaidan (Le Fantôme de Yotsuya), un classique du théâtre japonais, déjà porté à l’écran, mais sans mise en abyme dès 1925, puis en 1949, 1959, 1965 et 1969.
Dans OVER YOUR DEAD BODY, la mise en scène de Takashi Miike est sublime, la direction artistique magnifique (mention particulière aux décors de toute beauté, signés par le décorateur du TOKYO TRIBE de Sono Sion) et magnifiée par la photographie. Imaginez un grand hangar de répétition, empli de régisseurs, scénaristes, électriciens, décorateurs, tous affairés ou concentrés sur la répétition, laquelle se déroule sur un énorme plateau tournant amenant sur le devant de la scène les divers décors : la forêt, le jardin, la maison du couple, celle de la famille bourgeoise… Toute la réussite vient de ce que lorsqu’un acte est répété, la caméra zoome sur le décor et nous fait très vite oublier qu’il est censé s’agir d’une pièce de théâtre. Tout d’un coup, nous sommes au cœur de l’action, du drame. La surprise n’en est que plus grande quand nous sommes à chaque fois ramenés du côté des techniciens.
On ne sait à l’heure de rédiger cette chronique si OVER YOUR DEAD BODY trouvera le chemin des salles, mais si c’était le cas et au vu du résultat, on ne pourrait que vous conseiller de vous y rendre au plus vite.