Purgatory
Un homme se trouve seul dans une grande pièce plongée dans la pénombre et dénuée de fenêtre. Seule la réverbération de pâles lumières artificielles en un rouge crasseux délimite et expose un lieu d’action dérangeant. Petit à petit, on comprend que l’homme se sent mal, d’un mal métaphysique qui le pousse à se tourner contre lui-même, contre son propre corps. Le spectateur sera, tout au long du film, témoin de sa déchéance.
PURGATORY est l’un des premiers courts-métrages québécois réalisés par Eric Falardeau, cinéaste prometteur qui livre des œuvres pessimistes fortement marquées de gore et d’organique.
Si la plupart des courts-métrages sont de nos jours tournés en numérique, le cinéaste a privilégié pour PURGATORY le Super 8. C’est une façon certaine de s’approcher au plus près du « vrai cinéma », celui d’avant l’ère numérique. C’est une façon aussi d’acquérir un grain d’image impossible à obtenir du numérique où tout semble lissé. Ce grain apporte un élément indispensable en donnant une texture étrange, plus crasseuse, et qui entre en accord avec l’univers mis en place. Si son coût est relativement moindre que les autres formats de pellicules, il apporte une certaine poésie à l’ensemble qui n’est pas sans rappeler les films de Jorg Buttgereit. puisqu’elle surgit de la violence, du dégoût des choses et du désespoir.
Lorsqu’il n’en est pas le sujet principal, le gore est souvent gratuit au cinéma et, lorsqu’il en est le sujet, il réduit tout aussi souvent les films à une débauche d’effets purement démonstrative. Dans PURGATORY, Eric Falardeau use d’effets visuels violents et sanglants comme de métaphores pour souligner le paradoxe et l’impasse des contradictions vécues par le personnage. Le piège de la gratuité est toujours évité et ce même sur des plans qui, montés autrement, auraient pu paraître risible.
Si le film n’a pas d’intrigue classique (événement déclencheur de l’action, péripéties et résolution), le scénario semble tout de même avoir été très travaillé pour parvenir à rendre compte de la haine qu’un homme peut éprouver pour lui-même. L’évolution des sentiments découle du travail essentiel effectué sur la représentation de la dimension mentale et psychologique du personnage. Cette dimension est bâtie, outre l’utilisation du gore, par un jeu sur l’espace. Le film est un huis clos entre quelques murs délabrés. Tout est renfermé. Les murs se font faces, immuables et sinistres. Il n’y a aucune perspective. Deux échappatoires possibles apparaissent cependant. Tout d’abord par le biais d’une télévision… Mais, on se rend vite compte que l’écran ne fait que diffuser l’image de l’homme torturé. Référence habile à VIDEODROME de David Cronenberg, cinéaste auquel Eric Falardeau est très attaché, cet élément permet de mieux encore décrire la dimension claustrophobique de son univers et le mal-être de son personnage. La deuxième échappatoire prend la forme d’une femme qui apparaît le long d’un mur et qui traverse la pièce doucement, silencieuse, pendant un plan fixe assez long. Représentation possible de la mort, elle n’apporte aucun réconfort. Bien au contraire, elle incarne l’issue fatale qui délivrerait le personnage de ses maux.
Organique et psychologique sont mêlés de telle façon qu’une harmonie de la déchéance se forme. Le principe du cycle et du retour inévitable sur soi même est le fil directeur de l’œuvre. Il la mène à son terme. L’hermétisme apparent de l’histoire peut rebuter le spectateur. On évitera l’écueil en préfèrant à la compréhension le ressenti. En ce sens, PURGATORY est une expérience à vivre, parce que tous les éléments qu’il coordonne mettent en place un rapport presqu’intime entre le spectateur et le personnage de l’histoire, à l’instar de la double relation entre les acteurs et le public qui se noue au théâtre.
Pour conclure, PURGATORY est un film très intéressant qui, malgré quelques influences visibles (mais qui n’en a pas ?), pose les bases d’un univers personnel et original. Très intelligent dans sa réalisation et son montage, il dresse le portrait éprouvant d’un personnage en perdition et auquel les conditions de l’existence ne semblent pas convenir. Poursuivant son travail de cinéaste, Eric Falardeau réalisera un autre portrait d’un individu torturé dans COMING HOME (chroniqué sur Sueurs Froides) sorte de double inversé de PURGATORY.