Queue de Béton
Alban Ceray, Dominique Aveline, Jean-Pierre Armand, sont autant de noms qui figurent, durant un soi-disant âge d’or du cinéma pornographique, tout en haut des affiches des productions les plus célèbres. Ces acteurs à la carrière bien fournie revêtent tout au long de leurs pérégrinations de nombreux pseudonymes. Néanmoins, un performeur français se distingue parmi les autres, et son surnom reste gravé dans l’histoire du cinéma X : Queue de Béton, alias Richard Allan, de son vrai nom Richard Lemieuvre.
Richard Lemieuvre, avant 1973, exerce dans la construction de maisons individuelles. Pour occuper son temps libre, étant déjà curieux et attiré par la chose, il explore diverses sexualités au cours d’expériences dans des lieux de libertinage. C’est dans ce contexte qu’il est initié au roman-photo avec sa compagne de l’époque. Cette première expérience peu concluante, dû à son incapacité à avoir une érection, ne le refroidit pas, bien au contraire ! En 1975, il tourne dans l’un de ses premiers films pour Robert De Nesle (crédité sous le pseudonyme de Robert Hughe) THEATRES EROTIQUES DE PARIS avec Claudine Beccarie (LEVRES DE SANG).
De 1973 à 1984, il participe au tournage de plus de quatre cent films. Bien plus que simple acteur, il porte la casquette d’agent de casting, directeur de production, repéreur et même producteur. En dehors des long-métrages, il est également sollicité pour des inserts (scènes pornographiques rajoutées à des films softs) et performe dans des conditions déplorables : caves crasseuses, odeurs infectes… Sa capacité incroyable à avoir une érection en presque toute situation lui vaut ainsi le surnom de Queue de Béton, inventé par un journaliste.
Parmi tous ces films, on peut mettre en exergue LA FEMME OBJET de Frédéric Lansac sorti en 1982, œuvre préférée de Richard Allan. Il tourne avec les grands noms de la profession, Gérard Kikoïne, Claude Mulot, Francis Leroi, et participe même aux débuts d’un tout jeune Marc Dorcel. Au delà des productions X, on le retrouve aussi sur des métrages plus classiques tels que POLICE de Maurice Pialat (il est retiré au montage mais figure tout de même au générique), LA GUERRE DES POLICES de Robin Davis ou encore L’EXECUTRICE de Michel Caputo. Walerian Borowczyk en personne prend aussi contact avec lui.
Cette belle aventure sur grand écran ralentit dans les années 1980 avec l’arrivée du SIDA (raison pour laquelle Marylin Jess arrête sa carrière), et se termine au début des années 1990. Aujourd’hui, Richard Lemieuvre est artisan-chocolatier pour Drogue Douce à Le Neubourg, pratique la photographie sous-marine, et milite pour la protection des requins.
Cependant, la légende de Queue de Béton persiste, et quoi de mieux pour l’illustrer qu’un film éponyme réalisé par Caputo ?
QUEUE DE BETON, réalisé par Michel Caputo sous le pseudonyme de Michel Baudricourt, et produit par Jean-François Davy pour Clap 7, sort en salles en 1979, puis en 1980, et enfin en 1987. Il est édité sur support physique chez Cinéthèque dans la collection Erotica et chez Fil à Film dans la collection Prestige. On distingue au casting Liliane Allan (ex-femme de Richard), Karine Gambier très active sur la période 1975-1980 (SHOCKING! de Claude Mulot, plusieurs réalisations de Jess Franco, Francis Leroi, Alain Payet …), Marie-Claude Viollet surnommée Gorge Profonde pour ses performances hors-normes, et Jack Gatteau (LA NUIT DES TRAQUEES de Jean Rollin ou encore PARTIES FINES de Gérard Kikoïne).
Ici, on nous conte l’histoire de Dominique (Marie-Claude Viollet), femme d’un réalisateur en pleine crise d’indigestion. Celui-ci lui demande expressément de se rendre sur son plateau de tournage pour le suppléer. C’est ainsi qu’elle fait la rencontre de Jack, assistant, Karine, femme de ménage, Liliane, actrice et Richard Malabar, appelé Queue de Béton ou encore Pine de Velours, le roi du porno.
De ce scénario résulte un beau travail autoréflexif et auto dérisoire. Lors de nombreux dialogues, Caputo met en avant les aléas des diverses professions du milieu X, toujours sur un ton bienveillant et bon enfant. Une fois de plus, la complicité est de mise et les acteurs semblent prendre un réel plaisir lors des scènes pornographiques. Un vrai soin est apporté à la lumière et au cadrage et les idées fusent : éclairage à la bougie, utilisation de miroirs, de cadres en papier découpé, éclats scintillants dans les lunettes fumées de Richard Allan qui présente fièrement sa queue de béton emballée dans du papier aluminium … On retient principalement une scène mémorable où, entourés d’affiches de LA CHATTE SUR UN DOIGT BRULANT, Richard Allan et Karine Gambier pataugent joyeusement dans les œufs et la farine pour préparer des crêpes d’un tout autre genre.
Si il ne fallait retenir qu’un film de la carrière de cet acteur qui ne débande jamais, au delà du célèbre LA FEMME OBJET, c’est bien vers QUEUE DE BETON que le choix se tourne. Emblématique d’une époque, et d’une carrière, cette œuvre drôle et sexy saura satisfaire vos curieuses envies dans la joie et la bonne humeur.