Au sommaire du numéro 37 de Sueurs Froides :
Val Lewton, Nancy Drew, Ulli Lommel, Flower and Snake, Leprechaun, Patrice Herr Sang, Marian Dora.

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Red Cliff part1

Un texte signé Alexandre Lecouffe

Nationalité
Chine
Année de production

2008
Réalisation

John Woo
Titres alternatifs

Chi-Bi, Les trois royaumes
Interprètes

Tony Leung, Takeshi Kaneshiro, Fengyi Zhang, Chang Chen

Le film semble marquer un nouveau départ dans la carrière déjà très riche du réalisateur John Woo. Commencée au milieu des années 70 et poursuivie jusqu’au début des années 90, sa période hong-kongaise est marquée par d’immenses réussites telles que LE SYNDICAT DU CRIME (1986), THE KILLER (1989) et A TOUTE EPREUVE (1992) où le cinéaste déploie un style opératique qui fait fusionner violence ultra-stylisée et noblesse des sentiments (ses détracteurs parleront d’apologie de la violence et de naïveté confondante…). Acclamé par certains comme le nouveau Messie du film d’action, le réalisateur entame une seconde carrière aux États-Unis qui durera une quinzaine d’années (1993-2007) et pendant laquelle il ne réalisera quasiment que des films de commande médiocres (BROKEN ARROW, 1996 ; MISSION IMPOSSIBLE II, 2000) à l’exception des magnifiques VOLTE- FACE (1996) et WINDTALKERS (2001) où il parvient à imposer sa vision et son style. Grandement désabusé par cette expérience, John Woo revient en Chine où il se voit confier le projet RED CLIFF, fresque historique et épique pour laquelle il bénéficie du plus gros budget du cinéma chinois (soit l’équivalent de 80 millions de dollars). Le film est un diptyque d’une durée totale de 4h40 qui a battu tous les records de recettes en Chine et a été distribué en Occident dans une version très écourtée de 2h30 (sous le titre LES TROIS ROYAUMES en France).
En l’an 208, l’armée impériale de Chine est menée par le chancelier Cao-Cao dont l’ambition est d’éliminer les supposés chefs de guerre rebelles des provinces du Sud et de l’Est, Sun-Quan et Liu Bei. Profitant de la faiblesse morale de l’Empereur, Cao-Cao attaque la province du Sud avec succès, tuant ou faisant fuir de nombreux civils. Afin de répliquer à cette agression, l’émissaire Zhuge Liang (Takeshi Kaneshiro) est envoyé dans la province de l’Est pour négocier une alliance avec le chef Sun-Quan (Chang Chen). D’abord hésitant, ce dernier finit par accepter sur les conseils de son ministre Zhou-Yun (Tony Leung) ; les deux provinces rebelles, en nette infériorité numérique, doivent à présent élaborer une stratégie afin de tenir tête à l’armée et à la flotte de Cao-Cao.
La crainte principale que pouvait susciter le titanesque projet RED CLIFF était de savoir si le talentueux mais dévalué réalisateur hong-kongais n’allait pas, après les échecs artistiques de ses dernières œuvres américaines, vendre son âme pour un film de commande nationaliste qui lui n’en aurait pas…(on se souvient que l’ex « dissident » Zhang Yimou fut récemment traîné dans la boue pour le soit disant discours impérialiste de son film HERO en 2000). Un budget pharaonique, deux secondes équipes, des milliers de figurants n’ont heureusement pas paralysé John Woo qui parvient à magnifier un univers chevaleresque qui lui est proche : il a tourné des « wu-xia-pian » (LA DERNIERE CHEVALERIE, 1979) et la plupart de ses personnage principaux sont des figures de chevaliers modernes qui se distinguent par leur courage et la noblesse de leurs sentiments. Très à l’aise dans ce microcosme riche en motifs et postures iconiques, le réalisateur peut développer son sens du romanesque et de l’épique tout en ayant recours à une dynamique de l’énergie qui lui est propre. Les scènes de combats formant la première partie du film sont à cet égard très représentatives du style « wooïen » : mouvements harmonieux à l’intérieur du cadre, raccords incroyables dans l’axe, utilisation signifiante du ralenti, chorégraphie « naturelle » des gestes, le tout valorisant toujours une excellente lisibilité des séquences, même lorsque quelques effets d’accélération ou de zoom sont utilisés. Un autre écueil majeur est évité dans RED CLIFF et concerne l’utilisation des trucages numériques, ici peu présents et très bien intégrés, à l’image des flèches et lances transperçant les belligérants ou des multiples geysers de sang ; les figurants très nombreux sont parfois multipliés en CGI mais de façon peu insistante, ce qui tend bien sûr à rendre plus crédible et palpable l’ampleur et la violence des combats. Le morceau de bravoure de cette première partie est très certainement la longue séquence de bataille qui voit les deux armées rebelles prendre au piège les hommes de Cao-Cao lors d’une formation stratégique dite « de la tortue » ; visuellement époustouflante, cette partie mêle à nouveau un emploi raisonné de plans numériques et des scènes féroces de combat au corps à corps qui rendent l’ensemble très réaliste malgré la stylisation des postures et des mouvements guerriers. Mais RED CLIFF ne sacrifie pas tout sur l’autel du spectaculaire et les personnages principaux, d’abord esquissés de manière apparemment manichéenne, gagnent en épaisseur au fil d’un récit qui n’hésite pas à prendre son temps, à les dépeindre progressivement sous des aspects inattendus. John Woo parvient à en faire des êtres pluri-dimensionnels, des individus à part entière en dépit de leur appartenance historique à un système ne favorisant pas l’idée d’individualité. Le réalisateur s’inscrit donc pleinement dans l’Histoire de son pays en modelant des personnages réels qui sont aussi de véritables extensions de ceux qu’il a pu créer dans ses films précédents. Tous, du « méchant » Cao-Cao (Fengyi Zhang, L’EMPEREUR ET L’ASSASSSIN de Chen Kaige, 1998), aux sympathiques Zhuge Liang (Takeshi Kaneshiro, LE SECRET DES POIGNARDS VOLANTS de Zhang Yimou, 2004) et Zhou Yu (Tony Leung, IN THE MOOD FOR LOVE de Wong Kar Wai, 2000) partagent un sens de la noblesse, un esprit chevaleresque et un net penchant pour l’amour courtois et les plaisirs raffinés (la musique, la calligraphie, l’art de boire le thé…). Encore une fois, le cinéma de John Woo confronte pureté des sentiments et violence des actes, seule possibilité semble-t-il pour que l’Homme se réalise et s’améliore.


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Article rédigé par Alexandre Lecouffe

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