Rencontre avec Bertrand Mandico aux Hallucinations collectives 2017
LE CAVALIER BLEU, IL DIT QU’IL EST MORT, LIVING STILL LIFE, S…SA…SALAM…SALAMMBÔ, NOTRE DAME DES HORMONES et DEPRESSIVE COP. 6 des courts-métrages de Bertrand Mandico ont été projetés en sa présence lors de l’édition 2017 des Hallucinations Collectives. Après cette découverte, voici la rencontre avec les spectateurs animée par Benjamin Leroy, co-organisateur du festival.
Benjamin Leroy : Tu sors de l’école des Gobelins, tu as donc commencé par l’animation comme on a pu le voir. Tu peux nous parler de ton rapport à l’animation et de ton virage vers le live ?
Bertrand Mandico : J’avais une envie profonde de cinéma, au départ, dans mon enfance, je voulais être acteur…. Ça venait de ma vision naïve d’enfant, je pensais que c’était l’acteur qui faisait le film. Je n’avais pas de caméra chez moi, pas d’appareil photo, je pensais que le cinéma était réservé à une élite et donc que je n’y avais pas droit. J’ai développé mon imaginaire avec le dessin et j’ai rêvé des films. Puis naturellement j’ai envisagé de rencontrer le cinéma par les arts plastiques en faisant une école de cinéma d’animation. Des amis sont entrés aux Gobelins, m’en ont parlé et ça a été un coup de foudre. Cette idée d’artisanat du cinéma, de faire des films en solitaire, m’allait comme un gant. Ça m’a permis de me faire les dents sur la pellicule, d’apprendre des bases rudimentaires qui me servent toujours. Comme ça, j’ai pu développer un univers… Mon rapport à l’animation a toujours été assez panaché, je tournais avec des marionnettes, constituées d’éléments glanés aux puces, des masques, photos etc… Mais ça m’ennuyait au bout d’un moment. Je n’avais pas envie de moisir là-dedans et j’avais vraiment le désir de travailler avec des acteurs. J’ai fui l’animation le plus vite possible… Définitivement. Je dis ça, mais j’y suis revenu avec LIVING STILL LIFE. C’était pour en finir avec l’animation et initialement pousser l’expérience de la nature morte animée à son paroxysme… Il y avait cette lapalissade de Walt Disney que j’ai reprise au pied de la lettre « Le cinéma d’animation est l’illusion de la vie ». Je me suis dit que j’allais joué à l’apprenti sorcier, en redonnant vie à des êtres morts image par image, ce qui à ma connaissance n’a pas vraiment été fait dans un film. Je ne parle pas de faire bouger des animaux empaillés comme ont pu le faire Jan Svankmajer ou The Brothers Quay. L’idée était vraiment d’avoir des dépouilles assez fraîches et de les animer non pas de façon macabre mais de façon délicate, vivante, réaliste et onirique. Je voulais redonner une sensation de vie au-delà de la mort. C’est souvent quand je dis « Plus jamais » que finalement je reconsidère la chose…
Benjamin : Tu as fait une trentaine de courts-métrages, LE CAVALIER BLEU est le premier ?
Bertrand : Pas vraiment, j’avais fait d’autres choses avant comme des films de commande et des courts ou essais à l’école.
Spectateur #1 : D’abord merci aux Hallucinations Collectives de me faire découvrir votre cinéma. Je voulais savoir quelle relation vous avez avec l’actrice qui revient dans vos films, Elina Löwensohn. Vous faites des films particuliers et elle vous accompagne beaucoup. Et je voulais vous féliciter, certains courts-métrages sont vraiment impressionnants, NOTRE DAME DES HORMONES est très intéressant.
Bertrand : Elina Löwensohn est une grande actrice, je l’ai découverte dans les films d’Hal Hartley comme SIMPLE MEN, et aussi dans NADJA de Michael Almereyda. Elle a une filmographie assez imposante. Elle a fui la Roumanie adolescente et s’est installée aux États-Unis, elle est entrée dans un circuit de cinéma d’art et essai américain indépendant et a fait aussi du théâtre d’avant-garde. Après elle est venue vivre en France et a joué dans SOMBRE de Philippe Grandrieux où là aussi elle a une interprétation très marquante. Elle a travaillé avec beaucoup de cinéastes.…Notre collaboration remonte à 8 ans maintenant, j’avais envie depuis longtemps de travailler avec elle et je cherchais la bonne occasion. Je lui avais proposé LIVING STILL LIFE, mais avant je devais tourner BORO IN THE BOX avec Katia Golubeva, une actrice russe extraordinaire malheureusement disparue aujourd’hui. Elle ne pouvait pas faire le film, alors Elina l’a remplacée au pied levé. Elina joue Walerian Borowczyk avec une boîte sur la tête, et également la mère de Boro. On s’est très bien entendus, une véritable osmose, et je me suis dit qu’avec un Stradivarius comme ça entre les mains, ce serait idiot de ne pas continuer à jouer avec. Je lui ai fait une proposition qui l’a touchée : faire 21 courts-métrages, en 21 ans au rythme d’un par année… En travaillant sur nos propres vieillissements et obsessions communes. On a commencé à mettre en place cette collection avec S…SA…SALAM…SALAMMBÔ, DEPRESSIVE COP est le dernier achevé à ce jour. Il y en a un en cours de finition et un qui sera tourné cet été. Parallèlement, ça ne nous empêche pas de collaborer sur d’autres films hors-collection comme NOTRE-DAME DES HORMONES ou le long-métrage que je suis en train de finir. Voilà pour résumer cette relation de travail, le reste est trop intime…
Spectateur #2 : Vous faites beaucoup de films très particuliers et très personnels. Je voulais savoir sur quoi vous partez, si c’est sur une idée, un format, une histoire, un concept, etc.
Bertrand : Tout dépend du financement envisagé pour le film. Si j’envisage de demander des subventions je vais avoir une écriture assez solide avec une note d’intention précise aussi. C’était le cas pour NOTRE-DAME DES HORMONES et LIVING STILL LIFE. Quand c’est dans le cadre de cette fameuse collection avec Elina on initie les films avec une sorte de bourse, des amis nous aident aussi. On fait un pot commun qu’on investit dans ces films, avec un cahier des charges où on se limite par rapport aux dépenses. On récupère de la pellicule souvent périmée et on tourne avec ce qu’on peut avoir sous la main. Ça peut être un endroit qu’on nous prête… Pour Y A-T-IL UNE VIERGE ENCORE VIVANTE ? on nous avait proposé un lac avec un grand parc, là on pouvait faire un film médiéval. Je m’adapte vraiment aux territoires, aux nombres de personnes et autres contraintes. À partir de là je développe une écriture… Je peux faire mes recherches d’idées en faisant du dessin, du collage, de la photographie, mais je passe toujours par une écriture précise… Quand on voit mes films ça ne paraît pas forcément évident, mais tout est très écrit et très détaillé quitte à ce que je lâche de la matière en route.
Spectateur #3 : Merci pour cette découverte, j’ai été vraiment halluciné par le travail de l’image et des couleurs, notamment sur LIVING STILL LIFE. Je me demandais comment vous travaillez cet aspect-là, si c’est au moment du tournage ou à la post-production. Vos films sont très picturaux, est-ce que vous avez des inspirations en peinture ou ailleurs ?
Bertrand : Merci pour le compliment. Oui, j’ai de nombreuses sources d’inspirations, c’est comme un mille-feuille, c’est difficile de pointer une inspiration plus forte qu’une autre. Tous les films que je fais sont tournés sur support pellicule, c’est une contrainte qui me convient. Ça m’oblige à une certaine discipline de tournage, je ne mouline pas pendant des heures, je n’allume pas la caméra en arrivant le matin, comme on allume la radio… Je répète mes plans jusqu’à ce que j’obtienne ce qui me semble être juste et je lance le moteur en retenant mon souffle. C’est un tournage en apnée. Je me méfie grandement de la post-production image, j’essaye d’obtenir ce que je veux au moment du filmage. Pour ça, je tords mon décor, je le peins, je l’éclaire, je l’enfume… Je fais la même chose avec l’optique, c’est-à-dire que je place des filtres (maisons) jusqu’à ce que j’obtienne des images qui me semblent les plus justes par rapport au sujet. LIVING STILL LIFE a été tourné en 35mm scope. Tout ce que vous voyez a été filmé sur le plateau, il n’y a aucun ajout postérieur..
Spectateur #4 : Vous vous sentez proche du cinéma de Shûji Terayama ?
Bertrand : Oui, je suis fou de Terayama, c’est une de mes passions. J’ai découvert ce cinéaste jeune en achetant des revues ZOOM d’occasion. C’était une très belle revue de photographie, riche en photographes parfois oubliés maintenant… Je les découpais pour faire des collages, mais les Terayama je les découpais pour les afficher dans ma chambre… Au début pour moi Terayama était un photographe qui me fascinait. Puis j’ai découvert par Walerian Borowczyk, une autre de mes passions, qu’il était aussi cinéaste… Ils avaient fait un film à sketches tous les deux, dans COLLECTIONS PRIVÉES. Après je me suis renseigné sur les films, j’ai essayé de voir ses courts et longs-métrages… Ses textes, ses livres… C’est un cinéaste très important, j’espère qu’un jour il y aura des rétrospectives, qu’on pourra aussi montrer son travail de photographe et de plasticien. C’était quelqu’un d’extrêmement complet, il avait une troupe de théâtre et était aussi poète. Je lui ai piqué l’idée de coller des gélatines colorées devant l’optique pour obtenir une colorisation de l’image en direct, et quand on bouge la caméra les couleurs suivent le mouvement. Il a pas mal travaillé ça, j’ai repris ce processus pour Y A-T-IL UNE VIERGE ENCORE VIVANTE ? C’est vraiment quelqu’un de très important pour moi. Tant dans la forme que le fond.
Spectateur #5 : Le cheval revient souvent dans vos courts-métrages. Dans LIVING STILL LIFE, qu’est-ce qu’il peut symboliser ?
Bertrand : Je ne sais vraiment pas. Je n’aime pas les symboles, j’aime les figures. Je ne peux donc pas expliquer cette obsession du cheval, je la constate comme vous. Cet animal m’inspire beaucoup, il est effectivement tout le temps présent, comme un témoin innocent… Il y a aussi un cheval dans le long-métrage que je termine… Pour LIVING STILL LIFE je voulais aller crescendo dans ” l’importance ” des animaux animés. Et naturellement le cheval m’est apparu incontournable. C’est un animal tout aussi impressionnant que touchant… Et ultra ciné-génique, ultra sexué aussi. Pour LIVING STILL LIFE, c’était très étrange, quand on a tourné cette séquence avec la grue qui porte un cadavre de cheval dans la nuit sous la pluie rouge, c’était écrasant. Les gens se cassaient tout le temps la figure dans la boue comme si ce corps suspendu les mettait plus bas que terre… Ils n’osaient pas le regarder. Toute l’équipe était à deux doigts de la dépression, au bord des larmes.
Spectateur #5 : On se pose des questions étranges sur ce cadavre, la tête ne tombe pas.
Bertrand : Il est fraîchement mort avec des harnais sous le ventre, il prend une position penchée pas vraiment raide. Comme c’est éclairé en rouge il y a une dimension macabre très accentuée. Sa posture est inhabituelle, on le croirait sorti de Guernica.
Spectateur #5 : Et pour l’effet spécial de NOTRE-DAME DES HORMONES, comment vous avez fait bouger la Chose ?
Bertrand : Il n’y a pas de mécanique, c’est de la manipulation basique comme pour une marionnette. Il y avait un petit levier caché à l’intérieur pour faire bouger l’antenne phallique. Quand Nathalie Richard et Elina Löwensohn tenaient la créature, avec leurs doigts elles pouvaient l’actionner. Pour certains plans éloignés c’était avec du fil de nylon et quand elle est posée sur une table c’est un trou dans la table avec quelqu’un qui passe sa main dans la créature, tout simplement.
Spectateur #5 : C’était très organique ce film, on pense beaucoup à EXISTENZ de David Cronenberg.
Bertrand : Oui, disons que c’est Cronenberg qui aurait couché avec Jacques Demy. Peut-être l’ont ils fait d’ailleurs…
Benjamin : Tu as fait plusieurs dizaines de films et seulement 5 sont sortis en salle, BORO IN THE BOX avec LIVING STILL LIFE et aussi HORMONA (qui rassemble 3 courts-métrages). C’est frustrant pour toi d’être cantonné aux festivals ou ça te va ?
Bertrand : C’est grâce au moyen-métrage que j’ai pu commencer à sortir en salle, BORO IN THE BOX dure 42 minutes et il avait bien marché en festival. Les distributeurs m’ont proposé de le sortir accompagné de LIVING STILL LIFE qui avait pas mal plu aussi et a eu une carrière en festival. On a tenté le coup et on a eu de très bons retours. Quand j’ai fait NOTRE-DAME DES HORMONES on a réitéré en imaginant le programme ” Hormona “. J’ai été ravi de pouvoir faire ça, me confronter à la vraie salle et au public qui se déplace et paye sa place pour aller voir un film… C’est aussi le cas en festival mais c’est encore autre chose, on est toujours le pain, la salade, le jambon d’un sandwich de films bigarrés. J’étais content d’exister aussi en salle.
Benjamin : Tu travailles sur ton premier long. Tu peux nous en parler ?
Bertrand : Il s’appelle LES GARÇONS SAUVAGES, c’est un film d’aventure fantastique, érotisant, légèrement déviant. C’est une sorte de télescopage entre une robinsonnade à la Jules Verne et LES GARÇONS SAUVAGES de William S. Burroughs, quelque chose de très organique et sensuel. C’est l’histoire de 5 garçons de bonnes familles au début du XXème siècle, sur l’île de La Réunion. Ils commettent un crime atroce et sont repris en main par un capitaine durant une croisière répressive. Ils font escale sur une île fantastique avec une végétation hyper sexuée. C’est un vrai récit d’aventure avec des scènes de bateau, de tempête et la particularité est que les 5 garçons violents sont joués par des actrices. Je dois l’étalonner, terminer les retouches montage, modifier encore le mixage.
Benjamin : C’est aussi tourné en pellicule ?
Bertrand : Oui, c’est du Super 16, une première partie sur l’île de La Réunion et une autre partie en studio.
Spectateur #6 : Du coup il ne passera qu’en festival ou il sortira ?
Bertrand : Oui là c’est un autre format, il peut sortir en salles. Le film dure 1h50, c’est le distributeur UFO qui avait sorti les films de Quentin Dupieux qui va le diffuser. Et on essaye les grands festivals (comme on dit) pour les avant-premières.
Merci aux équipes de ZoneBis et du Comœdia et à Bertrand Mandico.
Photo : Nicolas Spiess