Roulette – A game of chance
Roulette est le premier long-métrage de Julian Schöneich, jeune réalisateur allemand déjà aguerri au court-métrage et au documentaire. Entouré d’une jeune équipe investie, Julian Schöneich aborde le thème de la roulette russe, propice à la mise en scène de situations tendues éminemment cinématographiques.
Sina est une jeune femme à la dérive, sans abri et mal accompagnée. Une ancienne camarade de classe lui propose de participer à des réunions secrètes lors desquelles elle devra jouer à la roulette russe. Si au bout de trois participations elle n’a pas été tuée, elle empochera 15 000 euros. Sina accepte et intègre alors un univers de violence dirigé par une organisation mafieuse.
Lorsqu’on parle de roulette russe au cinéma, on évoque souvent Voyage au bout de l’enfer. Le film de Michael Cimino mettait en scène une situation déchirante où les participants, prisonniers de guerre, et amis de longue date, étaient forcés de jouer les uns contre les autres. Dans Roulette, les joueuses bien que volontaires sont des femmes en perdition, en marge et qui ont désespérément besoin d’argent, tandis que les spectateurs du jeu sont désignés comme des notables en manque de sensations fortes, politiques et hommes d’affaires. L’organisation des parties s’appuie sur une injustice dont le spectateur est témoin à travers le personnage de Sina. Cette jeune femme vulnérable et abrupte est une victime toute désignée. Les personnages masculins qui l’entourent sont menaçants, à l’exception d’un seul, Udo, un ami qui semble la protéger mais que le récit oublie rapidement. Les femmes qu’elle croise sont des adversaires à tuer, les autres gens sont des dangers potentiels ou avérés, comme le montre une scène où alors qu’elle mendie elle se fait injurier. Avec son ancienne camarade Michelle se dessine un moment une complicité à la Thelma et Louise mais de courte durée. Schöneich présente un monde pessimiste et violent dont la seule issue possible est encore plus de violence. La comédienne Lena Steisslinger incarne avec talent cette femme désabusée, sans perspective, qui accepte de mettre sa vie en jeu. A l’image des personnages, les dialogues du film vont droit au but, les scènes sont parfois crues. L’image désaturée et aux contrastes très forts souligne la brutalité de cet univers. Les multiples mouvements de caméra, parfois remarquables pour un film à petit budget, mettent en évidence l’ambition du réalisateur à donner un spectacle visuel à son public autant qu’une bonne histoire.
Il effleure le film politique quand apparaît un personnage de journaliste ambitieux, prêt à faire tomber les sphères dirigeantes pour un article explosif après le meurtre d’un de ses collègues, et totalement inconscient du danger. Mais ce qui intéresse Julian Schöneich c’est le destin de son héroïne et il est visiblement bien plus attiré par le film de genre. Les scènes de roulette russe se devaient d’être réussies et elles le sont. Difficile de deviner leur issue, expéditives ou s’étirant en longueur de manière à augmenter la tension de façon adroite. La musique s’interrompt pour laisser planer un silence inquiétant, isolant les duellistes sous le regard anonyme et insistant de l’audience. Le décor d’usine abandonnée donne son esthétique bétonnée, froide et grise à l’ensemble du film.
Avec des transitions déstabilisantes, des cadres désaxés, une violence qui surgit brusquement, le film n’est jamais confortable et c’est son point fort. Le spectateur n’a pas de répit, il est placé dans la même posture d’alerte que le personnage de Sina. Ces choix font de Roulette un film dynamique et frontal et attestent qu’une génération entreprenante de réalisateurs émerge dans le cinéma indépendant allemand.