Sex and fury
Petite fille, Ocho a vu son père policier se faire assassiner par des truands qui lui dérobent sa mallette. Avant de mourir, il a le temps de confier à sa fille trois cartes à jouer représentant un sanglier, un papillon et un cerf, motifs respectifs que portent en tatouage chacun des assassins. Ocho est recueillie sous la protection d’un boss bienveillant. Elle devient un pickpocket renommé dans le monde interlope mais n’oublie pas sa quête : retrouver et châtier les meurtrier de son père. Dans le Japon de 1905, sa route croise celle du nationaliste Shunosoke et de l’espionne anglaise Christina. Shunosoke veut tuer le politicien Kurokawa, coupable de malversations, mais échoue à chaque tentative. Ocho tente quant à elle de sauver la jeune Yuki à la fois du bordel à laquelle une dette la promet et des griffes du libidineux Iwakura, entrepreneur véreux, yakuza et amateurs de vierges. Il s’avèrera que Yuki et Shunosoke vont remettre Ocho sur la piste de ceux qu’elle cherche depuis 20 ans.
SEX AND FURY n’est pas facile à résumer : Norifumi Suzuki entremêle plusieurs lignes narratives, multiplie les personnages, digresse sur quelques événements… et aboutit pourtant à un résultat plus ou moins cohérent. Pour dégrossir la bête, nous dirons qu’il y a trois histoires plus ou moins tissées entre elles : la quête du nationaliste Shunosuke, celle de l’espionne Christina et celle, la principale, d’Ocho. Tout ce petit monde se croise, s’affronte parfois, ou fait cause commune contre « l’axe du mal » Kurokawa-Iwakura.
« Violent pink » renommé, SEX AND FURY en donne pour son argent au spectateur : après moins d’un quart d’heure, la très belle Reiko Ike se dénude pour aller défourailler une bande de gredins. Son corps nu danse un ballet de mort, le katana tranche et répand le sang sur un sol enneigé dans un combat marquant et qui a d’ailleurs certainement imprégné les rétines du Tarantino de KILL BILL. Plus tard, nous auront droit à une séquence purement gratuite mêlant sadisme et religion catholique, occasion de rappeler qu’on doit à Suzuki une des pièces maitresse de la nunsploitation, genre en vogue dans les années ’70, avec LE COUVENT DE LA BETE SACREE.
La très belle musique évolue entre sonorités japonaises, musiques pop d’influence occidentale et mélodies qu’on jurerait provenir des compositeurs de films italiens de l’époque.
Comme souvent, le cinéma pop japonais n’hésite pas à mélanger divers genres. Le « Violent pink » est déjà un cocktail d’érotisme et de violence, mais Suzuki lui ajoute quelques traits d’humour, parfois scatologiques.
Aux duels de sabres s’ajoute également le duel au jeu, dans une très belle séquence de poker, centrée sur les regards de Reiko Ike et Christina Lindberg. Les gros plans sur les yeux font évidemment penser aux westerns italiens qui connaissent encore à l’époque un grand succès au Japon. L’ensemble nous rappelle aussi que le gambling movie est un genre en soi dans l’archipel.
Pour l’anecdote, Ocho va à un moment transformer son corps en arme mortelle en l’aspergeant de parfum empoisonné, fatal à celui qui lui prodigue une caresse buccale. Hasard de scénariste, une idée assez proche est au centre de LA FILLE AU SEXE BRILLANT de Jess Franco (également chroniqué sur Sueurs Froides), tourné à peu près à la même période que SEX AND FURY. Ces deux métrages ont été présentés à la troisième édition du festival Offscreen. SEX AND FURY s’inscrivait au sein d’une thématique Violent pink, aux côtés – notamment – de sa suite FEMALE YAKUZA TALE tournée, elle, par Teruo Ishii. Evénement rare, les programmateurs ont eu accès aux copies 35mm, lesquelles ont été superbement conservées.
Et le lien entre Suzuki et Ishii se renforce encore par la citation que fait le premier d’un film du second lorsque le tatouage d’une des responsables de la mort du père d’Ocho apparaît seulement sous l’effet d’une douche. Ishii avait en effet exploité l’idée d’un tatouage n’apparaissant que sous l’effet de l’alcool, ou de tatouages fluorescents dans L’ENFER DES TORTURES. Ce dernier développait aussi le thème des européens esclavagistes, ici réexploité par le biais d’anglais conspirant pour ouvrir le marché japonais au trafic d’Opium qui a déjà asservi la Chine. L’ambassadeur machiavélique utilise à cette fin son espionne Christina, chargée d’obtenir par ses charmes l’accord du politicien japonais. Mais Christina n’est là que pour retrouver l’ennemi de ce dernier, son ancien amant, Shunosuke. Dilemme.
Découverte dans Playboy et Penthouse, Christina Lindberg est une figure de l’érotisme européen des années ’70. Elle croise dans un petit rôle la route de Joe Sarno (CHATTES SUEDOISES) qui lui donne peu après le premier rôle de YOUNG PLAYTHING en 1972. Elle est ensuite la vedette de MAID IN SWEDEN – ÇA S’EST PASSE A STOCKOLM et tourne en 1973 deux érotiques pour la Toei, dont SEX AND FURY. Son titre de gloire restera THEY CALL HER ONE EYE (Bo Arne Vibenius, 1974), un rape et revenge renommé et qui fut souvent censuré. A la même période, on la retrouve encore dans deux softcore distribués en France : LIBRE-ECHANGE et LES IMPURES qui seront les derniers sommets de sa très courte carrière. Quittant le cinéma érotique au moment du virage hardcore, elle est devenue journaliste dans sa Suède natale, éditrice d’une revue sur l’aviation.
Charpenté par une véritable intrigue, magnifié par des options stylistiques de toute beauté, rehaussé de nudités iconiques, Sex and Fury prouve une fois de plus que le cinéma érotique japonais enfonçait tous ses concurrents de l’époque par sa très grande qualité.
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