Stoic
Dans une cellule de prison, un détenu se pend. Au réveil, les trois autres pensionnaires de la cellule découvrent horrifiés le corps et appellent au secours. Puis, nous assistons aux heures qui ont précédé la mort. Stephen, Mitch, Harry et un quatrième prisonnier passent le temps autour d’une partie de poker. L’un d’entre eux rafle tout et, devant l’insistance de ses codétenus à relancer la partie, propose que le perdant doive manger un tube de dentifrice. La chance tourne et il perd… Mais refuse le gage qu’il a pourtant lui-même imposé, suscitant dès lors la colère de ses compagnons qui vont le faire payer très cher, se laissant entraîner dans une spirale de violence sans fin.
« Uwe Boll est un nul, Uwe Boll est le plus mauvais cinéaste de la terre ». Que n’entend-on pas dire du réalisateur allemand ? Si la désastreuse réputation d’une grande partie de sa filmographie ne donne guère envie de partir à la découverte, il n’en reste pas moins que certains de ses derniers travaux sont loin de démériter. Ainsi, POSTAL, présenté au 26e Brussels International Fantastic Film Festival (BIFFF), quoique parfois lourd et dans l’ensemble inégal, se révélait assez drôle. En 2009, le même BIFFF creuse le sillon de la réhabilitation d’Uwe Boll en programmant STOIC… Qui aurait pu, à notre sens, prétendre au podium du meilleur thriller mais s’est fait souffler la politesse par le tout aussi excellent THE CHASER.
La rumeur veut même que STOIC soit une réaction d’un Uwe Boll excédé d’être mis au pilori de l’infamie. La forme du petit budget et le peu de possibilités d’exploitation en salle du résultat pourraient accréditer cette thèse.
Le réalisateur croit en son film et est venu le défendre pour l’avant-première mondiale au BIFFF. A noter qu’avant cette avant-première, le film, qui n’avait donc pas encore été montré, récoltait déjà une note de 2/10 sur la base de 60 votes sur imdb, ce qui dénote la rage anti-Boll qui sévit mais aussi le manque de crédibilité à accorder à ces notations. Edward Furlong a aussi effectué le déplacement jusqu’à Bruxelles, témoignant ainsi de sa volonté de soutenir un film pourtant sans grand potentiel commercial.
STOIC est un no-budget : 4 acteurs, un seul décor, simplissime de surcroît : une cellule de prison des plus spartiates. C’est dans ce type d’exercice que peuvent se révéler des réalisateurs puisqu’il leur faut maintenir en haleine le spectateur avec peu d’éléments à disposition. Ils doivent tenir la durée d’un métrage sans deux ex machina, sans ajouter de protagonistes, sans pouvoir se reposer sur leurs décors, effets spéciaux ou photographie léchée. L’histoire, le jeu d’acteur, le montage. Un concept strict, dégraissé, épuré à l’extrême. Reste alors encore le risque de s’enferrer dans des dialogues à rallonge et des scènes trop statiques. Et là encore, Uwe Boll relève le défi haut la main : le résultat est cohérent, énervé, passionnant.
STOIC nous est présenté comme basé sur des faits réels, ce qui rend l’horreur d’autant plus glaciale.
Le début nous laisse pourtant dubitatif : qu’est-ce que c’est que ce tube de dentifrice à avaler ? En fait, il s’agit de partir d’un enjeu minime, d’une petite humiliation pour, par gradation rapide, arriver au point de non retour en matière de violence.
Les personnages sont bien dessinés : il y a le violent, le manipulateur, le suiveur et la victime.
Structurellement, STOIC se divise en deux types de scènes. D’une part les « face caméra » d’un interrogatoire où, en plan fixe – vue subjective de l’interrogateur (le spectateur jugeant le cinéma d’Uwe Boll ?) -, chacun des trois détenus livre, par bribe et sous-entendus, ses explications, contredisant régulièrement celles des deux autres. Certains spectateurs ont critiqué l’improvisation de ces séquences, engendrant force répétitions dans les propos. Pour notre part, nous avons trouvé que ces répétitions, loin d’affaiblir le film, en augmentaient le réalisme du rendu.
Le film procède par recoupement, confrontation des témoignages, probablement lors d’un interrogatoire a posteriori des protagonistes : chacun livre sa version, tente désespérément de se justifier, de s’excuser, d’atténuer sa responsabilité. Ce type de mécanisme est classique au cinéma (Akira Kurosawa, entre autres) et évidemment au cinéma policier, puisqu’une caméra démiurge permet au spectateur de connaître une réalité ignorée des protagonistes et donc d’apprécier le décalage entre ce qui est et ce qui en est dit.
L’autre type de scènes nous amène à la cellule, avec la vue, objective cette fois, des événements qui ont eu lieu auparavant.
La violence est sèche, rude, ignoble. Les tortures humilient la victime. Mais même les pires tortionnaires nous sont aussi montrés dans leur humanité d’êtres apeurés, aliénés par la prison, par l’esprit de groupe, par leurs propres terreurs d’être à leur tour pris en victime par les autres. Au final, il n’y a que des victimes. Mais le film est d’autant plus noir et désespéré qu’on peut relever une gradation dans la victimisation et que ceux qui paient le plus lourd tribut sont les plus faibles. L’ultime séquence, affichant d’une part les motifs de l’incarcération initiale des protagonistes et les peines qu’ils devaient purger, et d’autre part la conséquence des actes de chacun est autant révélatrice que glaçante.
En 2008, le BIFFF nous secouait avec le STUCK de Stuart Gordon (Corbeau d’Argent, soit le 2e prix du jury) ; pour l’édition 2009, STOIC par son intransigeance et son intelligence fait plus qu’entretenir une simple parenté homonymique. Dans les deux cas, c’est une plongée au cœur de la monstruosité humaine ordinaire, de la capacité de l’homme au mal dès que la peur le tenaille, quitte à le faire renoncer à toute barrière morale ou sociale. Dans les deux cas, des films basés sur des faits réels…