Sueurs Froides en version papier

Au sommaire du numéro 37 : Dossier Val Lewton, Nancy Drew, Biographie de Ulli Lommel, la saga Flower and Snake, la franchise Leprechaun, entretien avec Patrice Herr Sang, Entretien avec Marian Dora.
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Un texte signé Stéphane Bex

Vendredi 13

Un petit coin isolé où poser sa tente, un bout de lac où se baigner pendant les périodes estivales, une colonie de vacances attendant d’être remplie par la marmaille américaine venue s’exercer aux joies de la vie au grand air, de jeunes moniteurs libidineux, un tueur invisible les éliminant l’un après l’autre de manière sadique et utilisant des armes blanches, VENDREDI 13 réunit sous leur forme quintessentielle les ingrédients du slasher dont il est l’un des ancêtres les plus glorieux.
Dix ans après BLACK CHRISTMAS et deux ans après l’HALLOWEEN de Carpenter, Sean S.Cunningham ouvre la décennie des eighties en érigeant le nouveau portrait du serial killer post-mansonien : un regard sans corps fixé sur la jeune génération ayant traversé les seventies comme une gigantesque récréation et un long postlude aux années flower power. Cette jeunesse sans engagement et qui n’a pas encore été touchée par le cynisme des années Reagan (RISKY BUSINESS sortira en 1983) vit alors une parenthèse enchantée, le moment d’une insouciance destinée sous peu à s’éteindre. Joints et étreintes charnelles suffisent ici à colmater l’inquiétude existentielle et les responsabilités du monde adulte sont encore loin, ne donnant lieu qu’à des imitations ludiques : dans VENDREDI 13, on achète et on vend des maisons mais seulement en jouant au Monopoly transformé en strip-poker.
Anticipant les bouleversements qui allaient assombrir la décennie, Sean S.Cunningham, jusque là honnête réalisateur de films pornographiques déguisés en documents pédagogiques, se montre prophétique à bien des égards. VENDREDI 13 apparaît ainsi à la fois comme le testament et le point d’orgue de l’horreur seventies, notamment dans le traitement élégiaque du cadre naturel que constitue Crystal Lake, mais également comme matrice du slasher eighties et nineties, gigantesque machine à broyer et opérer le recyclage de corps ayant quitté le territoire de l’érotique pour gagner celui de la valeur marchande.
Il est dès lors intéressant de voir comment Sean S.Cunningham se situe à la charnière, entre lyrisme nostalgique et cynisme naissant. La photographie de Barry Abrams exacerbe les couleurs chaudes et passées d’un été indien dans le New Jersey. Mais sous le rêve du monde primitif se dissimule déjà le cauchemar d’un futur panoptique ; dans les sous-bois, derrière chaque arbre, le regard tueur guette ses proies, épinglant déjà la victime dans la vision subjective de la caméra. Sean S.Cunningham poursuit ainsi la remise en cause du paysage lyrique entamé par Meir Zarchi avec le rape and revenge OEIL POUR OEIL (I SPIT ON YOUR GRAVE) de 1978, offrant un final très proche de celui de VENDREDI 13. La nature n’est plus un recours ou un secours, ni un lieu où l’humain réapprend la survie comme dans le premier RAMBO, mais l’espace d’un massacre absurde et injustifié. Les espaces, faussement libres, se font de plus en plus reserrés et contraints, enfermant les corps avant de les immobiliser totalement. Le film, présenté lors de la 16ème édition d’EXTREME CINEMA à la cinémathèque de Toulouse lors de la nuit de clôture, offre ainsi un parallèle avec l’oeuvre de Dario Argento, et notamment LES FRISSONS DE L’ANGOISSE projeté également au cours du festival et son traitement minutieux des lieux explorés sous tous les angles.
S’il est possible de relire VENDREDI 13 sous la forme d’un western dégénéré, à la manière de LA COLLINE A DES YEUX de Wes Craven, en faisant du tueur un Indien défendant son territoire (le motif de la flèche parcourt l’ensemble du film) attaqué par ses nouveaux « colons », il est tout aussi intéressant d’y voir une variante sur les codes de l’horreur gothique : les baraquements, ruines qui sont rénovées pour accueillir le public vacancier, y font office de château hanté par les fantômes. Les cadavres s’y cachent dans les coins et tombent des placards comme autant de découvertes macabres. Une malédiction de nature familiale frappe encore ici mais l’argument surnaturel a cédé la place à des meurtres réalistes mis en scène par les effets spéciaux de Tom Savini.
Ce qui frappe dans l’oeuvre de Cunningham est alors la relative simplicité et efficacité des exécutions, à mi-chemin entre la sophistication des meurtres dans le giallo et le ludisme jouissif à l’oeuvre dans les slashers postérieurs. On a un peu rapidement mis l’accent sur le réactionnisme moral qui paraît justifier les crimes (selon la formule bien connue « sexe et châtiment ») sans s’apercevoir que les jeunes présentés par le film sont relativement « sages » et que la jeune femme qui ouvre le film et sera la première victime ne commet d’autre crime que de ne pas écouter les mises en garde délivrés par les rednecks du coin. Jeunesse coupable ? Pas vraiment et elle ne semble servir que de victime sacrificielle expiant les crimes des générations antérieures qui n’ont pas su ni reconnaître leurs fautes ni correctement faire disparaître les cadavres qu’ils ont laissés derrière eux.
Crystal Lake, au final, sonne ici comme un nom prédestiné. Dans la boucle tracé par le lac s’amorce déjà cet éternel retour de la figure de Jason and co qui compte aujourd’hui 12 épisodes au compteur (à quand le treizième qui viendrait achever bellement le cycle ?) et dans les facettes du Crystal scintillent déjà, en éclats hypnotiques, les reflets destinés à égarer les victimes des futurs slashers. Complexe sous sa simplicité naïve, riche malgré l’apparente pauvreté de son intrigue, à mi-chemin entre deux époques et équilibré dans sa narration, VENDREDI 13 a tout des oeuvres classiques. A la fois déférent et révolutionnaire.



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Article rédigé par : Stéphane Bex

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