Waste land
WASTE LAND est un documentaire riche de plusieurs sujets, sujets qui se chevauchent, s’entrelacent et finissent par ne faire plus qu’un sur l’art comme outil d’éveil social, comme moyen de s’émanciper, d’échapper à sa condition ne serait-ce que l’espace d’une parenthèse.
A l’origine de WASTE LAND se trouve le projet d’un jeune artiste brésilien, Vik Muniz. Il est notamment connu pour ses photographies dont la particularité est de prendre des modèles composés en partie ou en totalité de matières diverses : confiture, chocolat, poussières, plastiques.
Se considérant comme totalement comblé par son art, jouissant de la reconnaissance de ses pairs et du public, Vik Muniz décide avec un camarade de s’intéresser à la plus grande décharge du monde, celle de Jardim Gramacho en banlieue de Rio de Janeiro. Pendant 2 ans, ils vont s’installer près de cette déchetterie dans laquelle 70 % des déchets de Rio sont envoyés et la totalité de ceux de la banlieue.
L’objectif est de repérer des caractères, des visages. Les deux compères vont sélectionner plusieurs trieurs de déchets, les photographier selon différentes poses, allant du simple portrait à une reproduction du célèbre tableau de Marat assassiné dans son bain par Charlotte Corday. Ces photos sont ensuite tirées en grand format et retravaillées avec l’aide des trieurs de déchets, les catadores. Ces derniers vont reconstruire les photos avec des déchets recyclables, redessiner le contour des visages, des formes avec du caoutchouc, des capsules de bouteille, des canettes, des peluches, tous types de matériaux se prêtant au jeu. En impliquant ces personnes, majoritairement des femmes, dans ce processus créatif (c’est-à-dire travailler leur propre portrait avec la matière même qu’ils manipulent chaque jour), l’artiste va les accompagner dans un exercice d’introspection, les amener à porter un regard sur leur propre identité. Bien au-delà de son intérêt artistique, c’est là que réside toute la force de ce documentaire et de ce qu’il provoque auprès de ces parias, de ces exclus de la société brésilienne. Comme si ces portraits leur renvoyaient au visage leur propre existence, existence qui ne serait pas liée uniquement à leur aliénation à ce travail socialement perçu comme l’un des plus dégradants. Ici le geste créateur provoque une expérience cathartique confrontant le sujet à sa propre condition.
Ce documentaire a de la poigne. Il colle à ses sujets. La caméra se frotte aux visages, aux corps. Les couleurs sont riches, variées, éclatantes. Il est vrai que le spectacle de camions-bennes déversant des tonnes de déchets alors que des hommes et des femmes se précipitent pour glaner les matériaux recyclables est à la fois fascinant et repoussant, conditions idéales pour ne pas laisser le spectateur indifférent. Le sujet était pourtant en soi suffisamment éprouvant, il n’était pas utile d’en rajouter dans le pathos avec la musique électronique de Moby, parfois outrageusement racoleuse, alors que la réalisatrice était parvenue à éviter cet écueil malgré la difficulté du thème. Au-delà de ce reproche mineur, WASTE LAND s’avère de bout en bout passionnant, haletant. La vraie réussite de Lucy Walker est d’avoir pris son propos à bras-le-corps et de ne pas avoir eu peur d’embrasser autant d’idées. La misère sociale du Brésil, le processus créatif d’un artiste, les destins individuels de ces hommes et de ces femmes extraits un bref instant de leur condition, la vie d’une œuvre artistique… Autant de sujets qui pourraient faire chacun l’objet de plusieurs documentaires.
En conclusion, s’il ne devait y avoir qu’un seul documentaire à voir cette année, celui-ci serait hautement recommandé. Il est bardé de récompenses obtenues dans de nombreux festivals.
Il est à noter qu’il a été produit par Fernando Meirelles, le réalisateur surdoué de LA CITE DES HOMMES. Outre l’aspect marketing, il est suffisamment rare pour ne pas l’évoquer qu’une personnalité consacre pleinement son art aux laissés-pour-compte de la mondialisation, au-delà du simple gala de charité ou de la visite expresse d’un pays tiers-mondiste. Vik Muniz est Brésilien d’origine et est issu d’un milieu très modeste. Ainsi, il a voulu redistribuer à ces gens de peu, lui qui, par son talent, est devenu une célébrité du monde de l’art contemporain. Pour autant, ce documentaire n’est pas un hymne à son altruisme. Il dépasse son simple cas individuel pour s’intéresser à ces trieurs de déchets. Ils sont les vrais personnages. Leur humanité transpire à travers la pellicule. Ils sont proches de nous, ils auraient pu avoir un destin différent, comme nous-mêmes nous aurions pu être catadores à Jardim Gramacho, simple question de destin.