Water power
Dans l’enfer urbain, le très névrosé Burt (Jamie Gillis) épie sa voisine. Il s’excite en déversant sur la gent féminine des tombereaux de propos injuriant et dénigrant. Il finit par se rendre dans un bordel du sex-district du coin où il paie pour assister en voyeur à un jeu de rôle dans lequel un client affublé d’une panoplie de chirurgien administre un lavement à une « péripatéticiente » (une péripatéticienne-patiente donc). Le spectacle fait travailler ses neurones (un peu) et son bas-ventre (beaucoup) et voilà notre Jamie parti acquérir l’outillage nécessaire à reproduire sur autrui le traitement auquel il a assisté. Les femmes n’étant qu’un ramassis de « salopes » et « d’ordures », elles ne méritent donc rien d’autre qu’un bon lavement que va s’empresser de leur administrer notre purificateur. Et comme Jamie n’est pas content et qu’il est de tendance plutôt violente (et violeuse), ça va chier.
Or donc, hors du lavement, point de salut. Si vous n’appréciez pas, passez votre chemin au plus vite, d’autant plus que, style pornographique oblige, la caméra se veut explicite et ne se détourne pas pudiquement lors de l’éjection des liquides souillés.
La réalisation est due à « Gérard Damiano ». Attention cependant, il ne s’agit pas du réalisateur de GORGE PROFONDE (DEEP THROAT), THE DEVIL IN MISS JONES ou encore THE STORY OF JOANA. Non, ici Gérard Damiano est le pseudonyme de Shaun Costello, autre pornographe américain actif entre 1972 et 1983. Il semblerait de surcroît que d’autres copies de WATER POWER aient aussi circulé signées sous le pseudonyme de Helmuth Richler. Une situation bien confuse donc. Gérard Damiano (celui de DEEP THROAT) aurait expliqué avoir été envisagé pour la réalisation mais n’avoir in fine pas tourné ce film qui aurait alors été confié à Shaun Costello. Les crédits du générique continuant cependant à utiliser le nom de Damiano.
Les connaisseurs auront immédiatement reconnu dans le casting la crème des porn-stars de l’époque.
Comme souvent dans le cinéma américain, l’histoire est adaptée d’un fait divers authentique (bien que le générique ne s’en vante pas) qui a vu un pervers forcer plusieurs femmes dans les années ’60 à recevoir un lavement. Frank Zappa en a tiré la chanson “The Legend of the Illinois Enema Bandit“.
Gérard Damiano/Shaun Costello expulse vite fait ce court (il ne nous semble pas que la copie proposée par Alpha France atteint les 76 minutes promises… s’agirait-il d’une version expurgée ?) porno : une intrigue linéaire, rondement menée mais qui se termine en eau-de-boudin : après sa quatrième « purificacation », Jamie échappe facilement à la police. Et paf, le carton de fin s’invite sans crier gare et sans que quelque enjeu d’aucune sorte soit résolu. Jamie tombera-t-il aux mains de la police ou bien continuera-t-il ses crimes ? On n’en saura rien : la longueur réglementaire du métrage est atteinte, Damiano a remballé sa caméra et nous plante là. Mais après tout, le genre est coutumier du fait. D’ailleurs, de progression narrative, il n’y a guère (contrairement à celle esquissée dans FEMMES DE SADE sorti à la même époque et également chroniqué dans Sueurs Froides). WATER POWER épouse déjà les courbes de la pornographie en devenir : spécialisation, épure (quoique le terme soit un peu malheureux vu le sujet) et construction narrative en boucle.
La spécialisation est évidente : s’il y a bien quelques séquences « classiques » (fellation, cunnilingus, feuille de rose …), c’est simplement en amuse-bouche pour nous amener vers le corps du sujet, la pièce maîtresse : la punition par le lavement, systématiquement précédée d’une bonne sodomie. Le marché de niche ultra spécialisé de la pornographie contemporaine se trouve déjà tout entier contenu ici.
Les trois séquences épousent le même déroulement : Jamie force et viole les femmes en les insultant avant de leur enfourner la canule libératoire et de les laisser expurger le liquide sous ses yeux. Il s’agit donc d’une structure en boucle, répétant sans véritable progression le même pattern, le même schéma. Ce mode opératoire envahira ultérieurement la majorité des productions pornographiques, surtout après l’éviction dans la seconde moitié des années ’80 de quelque intrigue narrative.
Quant à l’approche, elle se met au diapason de son époque. La libération sexuelle qui se développe dans les années ’70 crée deux courants antinomiques : le premier voit l’expression d’une sexualité exultante, joyeuse et débridée. Le second charrie les angoisses de l’époque, générées par cette liberté nouvelle, par les revendications féministes ou par de nombreux autres éléments contextuels. Il s’en dégage un parfum de malaise. La sexualité y est glauque. On joue sur les tonalités de l’humiliation, du dénigrement, de la morbidité (une tranche non négligeable du cinéma de genre s’en fait l’écho, ne fut-ce que via les nunsploitations, les rape & revenge, les WIP, les nazisploitations…). WATER POWER fait clairement partie de cette seconde vague. Le rapport homme-femme n’y est montré que sous l’angle de la domination du premier sur la seconde et de la soumission et l’humiliation de cette dernière.
L’ambiance urbaine, la voix off de l’anti-héros narrateur et son état mental nous évoquent (toute proportion gardée hein, il s’agit quand même d’un « boullard ») MEAN STREET (on aurait pu le titrer « ENEMEAN STREET ») ou encore TAXI DRIVER. Shaun Costello ne s’est d’ailleurs pas gêné pour piquer la musique de Bernard Hermann utilisée l’année précédente par Scorcese.
WATER POWER a été exploité aux USA sous divers autres titres, plus explicites : ainsi de ENEMA BANDIT ou encore THE ENEMA KILLER. Vu le rôle d’ennemi public joué par Jamie Gillis, on se dit que les distributeurs, pourtant toujours prêts à un jeu de mot foireux dès qu’il s’agit de porno, sont passés à côté de « the enema within » ou de tout autre jouant sur la proximité avec le terme « ennemi ».
N’en faisons pas clystère – euh nous voulions dire mystère – plus longtemps, ce porno n’allumera que ceux qui s’intéressent aux sexualités hors normes (et en fait à une seule et unique déviance). L’amateur sera aux anges et fera rentrer WATER POWER dans les annales de l’histoire du 7e art cochon. Pour tous ceux qui sont portés vers des pratiques plus courantes (moins coulantes donc), ou bien vers d’autres spécialités, la vision de WATER POWER s’apparente rapidement à une bonne purge. Nous lui conseillons donc plutôt de faire déféc(a)tion. Sauf évidemment à apprécier qu’une œuvre d’art s’apparente à un canule-art.