Crépuscule

Un texte signé Alexandre Thevenot

Québec - 2011 - Eric Falardeau

Une jeune fille (Nellie Benner) débarque d’un train et s’installe dans une chambre vide. Pour gagner de quoi payer son loyer, elle lave des voitures. L’apparition d’un homme plus âgé , coïncidant avec celle d’un pistolet amené par une main mystérieuse pendant son sommeil, va la faire basculer dans les fantasmes et la psychose.
On pourrait résumer le scénario de CREPUSCULE de cette seule phrase – une jeune fille devient folle – sans rien dire pour autant de l’oeuvre. CREPUSCULE est un film sur le vide et les creux laissés par l’absence d’une histoire comme d’un corps. Celle d’un amant possible – qu’elle passera son temps à fuir – celle d’un événement qui ne surgira jamais.
Même si le film décrit cette longue et insensible descente de l’héroïne à l’intérieur de la psychose, il n’en dramatise pas le processus à l’image du REPULSION de Polanski ou du TAXI DRIVER de Scorsese. C’est que cette descente est d’abord une échappée, sourde et lancinante, à l’image du motif musical, un sostenuto jazzy qui possède la lenteur des crépuscules ou celle des expirations et fait songer aux atmosphères planantes des années 80, notamment chez Beineix – comme l’héroïne de 37°2 LE MATIN, l’héroïne du film s’enlaidit par son maquillage pour mieux nier une beauté dont elle ne sait que faire – mais sans le chic publicitaire et le romantisme moderne du réalisateur français. CREPUSCULE propose ainsi une immersion mentale, l’agonie psychique d’un personnage qui est déjà fantôme avant que de mourir. Anonyme, muette, invisible aux autres, l’héroïne exécute seulement devant son miroir piqueté des lap dance pour un corps invisible, dessinant les arabesques qui retardent la nuit à venir et la préparent déjà.
Au spectateur sollicité – les réalisateurs multiplient les regards caméras – l’excitation ne viendra pas pourtant et la sexualité est ici une aura brûlante et glacée, une troublante enveloppe qui baigne le film mais qu’on ne percera jamais. Seyferth et Nieuwenhuijs, en occupant de la caméra au plus près le corps de Nellie Benner en disent la saisissante beauté comme le profond retrait. A la membrane de sa peau scrutée dans la laiteur moirée du noir et blanc répondent les écrans, miroirs, façades ou vitrines barrant l’espace et rejetant de plus en plus l’héroïne dans un hors-lieu.
Ce paradoxe de rendre un corps inaccessible dans sa proximité même est une des plus grandes beautés du film. Une autre – mais dans laquelle on peut lire aussi une faiblesse narrative – est de transformer l’ensemble de la vie de l’héroïne en actes performatifs, isolés les uns des autres, mais visant le même moment d’un arrêt, pause ou stase qui serait le point où le film se transforme en photographie. Des images d’une foudroyante beauté parsèment ainsi l’oeuvre de Seyferth et Nieuwenhuijs – la danse devant le miroir, un envol de canards le long du fleuve, une route traversée de roues fantômes, des allumettes sur une table, la ronde funèbre des rouleaux à la station service ou l’héroïne allongée avec un maquillage d’écorchée – images dans lesquelles la suspension narrative trouve un envol poignant et délicat. Le miracle de ces réussites – pourrait-il en être autrement ? – affecte le reste du film d’une plus grande faiblesse, dans lesquels les indulgents liront l’attente, les plus récalcitrants à la poésie formelle du couple, de longues plages d’ennui.


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- Article rédigé par : Alexandre Thevenot

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