Un texte signé Alexandre Lecouffe

Etats-Unis - 1974 - John Carpenter
Titres alternatifs : Dark Star l'étoile noire
Interprètes : Brian Narelle, Cal Kuniholm, Dan O'Bannon, Dre Pahich

Dossierretrospective

Dark Star

Le vaisseau Dark Star erre dans l’espace depuis une vingtaine d’années avec pour mission de détruire des planètes instables qui pourraient nuire à de futures colonisations. A son bord se trouvent deux astronautes assez incompétents, Boiler et Talby, le sergent Pinback et le lieutenant Doolittle qui dirige le vaisseau depuis le décès du commandant Powell dont le corps a été placé en hibernation. Bientôt, une série d’accidents venus de l’extérieur (une tempête électromagnétique) puis de l’intérieur (l’attaque d’un étrange alien) va causer le dérèglement total du Dark Star et mettre en danger la vie de son fragile équipage…

DARK STAR doit son petit statut de film culte au fait qu’il représente la première incursion cinématographique de celui qui allait devenir l’un des réalisateurs américains les plus passionnants des vingt années qui allaient suivre…Sans revenir de façon détaillée sur la filmographie de «Big John», force est de constater que ce dernier aura légué au cinéma fantastique (dans son acception la plus large) une œuvre riche de plusieurs grands films parmi lesquels on peut citer ASSAUT (1976), HALLOWEEN (1978), NEW YORK 1997 (1981), THE THING (1982), PRINCE DES TENEBRES (1987), INVASION LOS ANGELES (1988) ou L’ANTRE DE LA FOLIE (1994). Après avoir retravaillé et parfois redéfini une grande part des mythes du Fantastique et avoir fait de la mise en scène son principal objectif, John Carpenter, usé de façon précoce par trop d’échecs ou de difficultés à concrétiser des projets, s’est progressivement retiré du monde du cinéma au début des années 2000, n’y revenant qu’en 2010 avec un sympathique mais peu marquant THE WARD.

DARK STAR est à l’origine un moyen métrage d’environ cinquante minutes mis au point par deux étudiants de la prestigieuse University of Southern California, John Carpenter et Dan O’Bannon. Conscients d’avoir réalisé un film de fin d’études au potentiel commercial, les deux hommes vont chercher un producteur qui financerait leur projet: tourner des séquences supplémentaires pour parvenir à une durée de long métrage, retravailler certains plans d’effets spéciaux et passer du 16mm au 35mm. Le duo trouvera finalement un « mécène » en la personne de Jack B. Harris, spécialiste de films d’exploitation qui venait de produire avec succès la comédie «campy» SCHLOCK (1973) du jeune débutant John Landis. John Carpenter et Dan O’Bannon tournent environ trente minutes de scènes additionnelles qui vont conférer à leur long métrage une tonalité à la fois comique et absurde et ce contre l’avis de Jack B. Harris avec qui ils se brouilleront. Le film sortira dans quelques salles des Etats-Unis en avril 1974, n’obtiendra aucun succès et sombrera dans l’oubli, même de la part de ses deux auteurs !

Difficile en découvrant DARK STAR d’imaginer que quelques années après sa longue et chaotique conception, son scénariste (Dan O’Bannon) et son réalisateur (John Carpenter) seraient à l’origine des deux plus grands films d’horreur/s-f de la décennie qui allait suivre avec respectivement ALIEN (Ridley Scott, 1979) et THE THING (1982). Ce premier essai semi-professionnel ressemble en effet davantage à un immense canular mis au point par deux étudiants en cinéma un peu potaches quoique plutôt doués et visiblement fins connaisseurs du genre science-fiction/ space-opera. L’odyssée (rires) du Dark Star, équipage composé d’astronautes chevelus peu concernés par leur mission et qui semblent sous l’emprise de drogues plus ou moins douces, paraît avoir été conçue comme un hommage un peu maladroit à DOCTEUR FOLAMOUR (1963) et à 2001, L’ODYSSEE DE L’ESPACE (1968) de Stanley Kubrick. On y retrouve en effet une forme de comique absurde et un peu désespéré comme dans le premier et un démarquage «cheap» de plusieurs scènes-clés du second (le morne quotidien des astronautes, la discussion de l’un deux avec une intelligence artificielle…). Si les deux auteurs parviennent globalement à donner à leur film une tonalité plutôt adulte grâce à des dialogues et des situations absurdes dans lesquels la finalité de l’existence est discrètement interrogée, plusieurs scènes au contraire font basculer DARK STAR dans une forme de burlesque régressif pas toujours bien intégré. A ce titre, la très longue séquence au cours de laquelle Pinback (joué par Dan O’Bannon) est attaqué par l’alien que l’équipage a recueilli à son bord est éloquente : parfaitement découpée, jouant sur des effets de cadrages en plongée/contre-plongée à l’intérieur d’un espace claustrophobe (une vertigineuse cage d’ascenseur), son suspense et son efficacité se trouvent annulés par sa durée disproportionnée et par le fait que la créature extra-terrestre est….un ballon de baudruche muni de pattes ! De même, les nombreuses séquences mettant en scène les astronautes « dissertant » sur tout et rien finissent par provoquer l’ennui plutôt que le rire et dans la dernière partie du film, le dialogue décalé entre le commandant «cryogénisé» et Doolittle tombe un peu à l’eau…L’absence totale de rythme et la sensation que de nombreuses scènes ont été étirées pour parvenir à une durée de long-métrage nuisent finalement au potentiel de DARK STAR qui aurait certainement gagné à creuser la veine satirique et contre-culturelle qu’il laissait entrevoir (voir la scène d’introduction pleine d’ironie avec le message patriotique envoyé depuis la Terre aux membres du vaisseau). L’ensemble demeure sympathique néanmoins, du fait de certains dialogues (ou monologues) assez drôles, d’une constante volonté de surprendre le spectateur et grâce à une facture de toute petite série B amoureusement bricolée.

Après l’échec sans appel du film, les routes de Dan O’Bannon et de John Carpenter se sépareront pour ne plus jamais se croiser. Le premier signera plusieurs remarquables scénarios pour le cinéma fantastique : outre celui d’ALIEN on lui doit ceux de REINCARNATIONS (Gary Sherman, 1981) ou de TOTAL RECALL (Paul Verhoeven, 1990) ; il réalisera une excellente zombie-comédie, LE RETOUR DES MORTS VIVANTS (1985). Le second, auteur de films majeurs désormais salués par tous, développera une passionnante réflexion sur les différentes formes du Mal illustrée par une mise en scène immédiatement reconnaissable. Parmi les motifs fondateurs de son œuvre, celui de l’isolement dans un lieu clos est un des plus récurrents ; il figure déjà, sur un mode mineur, dans ce tout premier essai.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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