Un texte signé Clément X. Da Gama

Japon - 1968 - Hiroshi Matsuno
Interprètes : Kikko Matsuoka,Masumi Okada,Nobuo Kaneko


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Dossierretrospective

The Living Skeleton

Une prise d’otage a lieu sur un paquebot de luxe : les criminels, ivres de violence, assassinent sauvagement l’ensemble des passagers. Trois ans plus tard, Saeko, sœur jumelle de l’une des victimes, entre en contact avec la défunte et entreprend de tuer un à un les meurtriers impunis.

La culture japonaise est étonnante à plus d’un titre. Au-delà des monstres vicieux et tentaculaires qui violent les héroïnes pubères de dessins animés, des chanteuses-idoles notoirement incompétentes mais poursuivies par une armée de fanatiques, ou bien encore du combat acharné que se livrent tradition et modernité dans les rues des grandes villes, l’archipel a également de quoi surprendre par sa double capacité de résistance et d’absorption face aux cultures étrangères.

A bien y regarder, le Japon n’est pas ce monstre d’hermétisme qu’on nous vend régulièrement puisque, malgré une culture nationale forte, très marquée (certains diraient autiste), les exemples de « fusion culturelle » avec l’Occident y sont légions : Kurosawa qui s’appuie sur le néoréalisme italien (CHIEN ENRAGE) ou sur Shakespeare (RAN) pour aborder des sujets typiquement japonais, Buronson qui injecte une bonne dose de folie et de têtes qui explosent dans MAD MAX II pour accoucher du manga décomplexé KEN LE SURVIVANT, les petits gars de chez Konami qui s’inspirent des tableaux de Francis Bacon pour leurs jeux « Silent Hill ». La liste est longue, interminable (comme une tentacule libidineuse), et nous pouvons y ajouter THE LIVING SKELETON, l’un des très rares exemples de films japonais à tendance gothique.

THE LIVING SKELETON marche clairement dans les traces d’une certaine littérature anglo-saxonne des XVIIIe et XIXe siècles par cette histoire de vengeance d’outre-tombe où une héroïne, investie par l’esprit de sa sœur décédée, châtie les bourreaux de sa jumelle. A l’instar des deux Catherine dans le tragique roman d’Emily Brontë « Les Hauts de Hurlevent », Saeko « la vivante » et sa sœur « la morte » sont des personnages presque identiques, interchangeables, reflet physique et mental l’une de l’autre et qui partageront un même destin funeste. La présence dans THE LIVING SKELETON d’un fantôme vengeur, incarnation d’un passé qui ne passe pas et qui investit le présent, rappelle « Le Château d’Otrante » de Horace Walpole, considéré comme le premier roman gothique. Enfin, et plus généralement, la littérature de peur anglo-saxonne aime à dépeindre les doubles et l’inquiétante étrangeté de protagonistes déchirés entre l’humain et le monstrueux (« L’Etrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde », « Le Portrait de Dorian Gray », « Dracula »). Mais, non content de ces multiples emprunts, le cinéaste Hiroshi Matsuno va également piller l’iconographie du cinéma dit gothique.

Bien qu’il fut réalisé en pleine période de gloire de la Hammer, THE LIVING SKELETON est sous perfusion de l’esthétique développée dans les années 1930 et 1940 par les studios RKO et Universal. Vous aimez les chauves-souris annonciatrices de malheur ? Les bateaux fantômes nimbés de brumes ? Les portes qui grincent tandis que l’héroïne fébrile avance dans un couloir sombre à la seule lumière d’une bougie ? Un noir et blanc expressionniste très contrasté qui construit, via le clair/obscur, des espaces de peur où se cachent peut-être des créatures de l’au-delà ? Alors ce film est une aubaine pour vous tant les différents assauts de Saeko (ou de sa sœur) répondent au cahier des charges en vigueur durant l’Age d’or du cinéma hollywoodien.

Mais, là où le bât blesse, c’est que THE LIVING SKELETON n’est pas particulièrement « japonais » dans son recours au gothique (entendu au sens large). Les productions nippones d’inspirations étrangères sont souvent passionnantes parce qu’elles s’appuient sur des œuvres préexistantes connues qu’elles prennent plaisir à remanier, à bouleverser (voire à martyriser) : en résulte des créations hybrides qui font sens (et prennent un « sens japonais ») par les écarts et modifications entre la matrice et sa progéniture. Par exemple, si KEN LE SURVIVANT est aussi agréable à regarder (à condition d’aimer les tronches qui éclatent et l’esthétique homo-SM), c’est parce que le manga a su briser les chaines de sa filiation avec MAD MAX II pour proposer une relecture ultra-violente, à la sauce soja/Japon, du film de George Miller. KEN LE SURVIVANT n’est pas une redite de MAD MAX II, mais une relecture.

En un sens, ce débat s’applique aussi au cas des remakes : pour beaucoup, un remake doit s’émanciper de l’original et offrir un spectacle relativement neuf ; il doit en partie entrer en conflit avec l’œuvre de base en affichant une nouvelle identité esthétique (MANIAC de 2012) et/ou scénaristique (L’ARMEE DES MORTS) pour ainsi assurer sa légitimité en tant que film autonome. Tel le remake inutile de CARRIE (2013), THE LIVING SKELETON est une redite ennuyeuse qui ne cherche presque jamais à surprendre le public par un spectacle « novateur », une relecture de ses illustres aînés : au contraire, les tropes de la tradition gothique (littéraire et cinématographique) s’enchaînent sans surprise, sans altération, au point que l’on se demande en quoi ce film est-il spécialement japonais.

Le tableau n’est pourtant pas si sombre puisque THE LIVING SKELETON s’affranchit à de rares moments de sa lourde hérédité gothique, et ce avec un panache très nippon. Saeko vit au crochet d’un prêtre : très dévot, il est un soutien pour la jeune femme qui n’arrive pas à faire le deuil de sa sœur. Mais une demi-heure avant la fin du métrage, le scénario dérape complètement et nous apprenons que le gentil prêtre est en fait le chef des assassins, responsable du massacre sur le paquebot. Devenu M. Hyde, le prêtre étrangle Saeko, la dénude, entreprend de coucher avec son cadavre mais est dérangé dans ses affaires par le chien Johnny ; il finit par massacrer le cabot à grands coups de chandelier. La tradition gothique peut s’avérer critique à l’encontre de la religion catholique (voir le personnage de St. John dans « Jane Eyre ») mais la foi y est généralement un rempart contre la corruption, le vice et les succubes. Ici, bien au contraire, nous avons droit à un homme d’église assassin multirécidiviste, nécrophile et tueur de chien (ça fait beaucoup pour un seul prêtre).

THE LIVING SKELETON se permet donc (enfin !) quelques écarts vis-à-vis de son illustre matrice anglo-saxonne, et il est à noter que d’autres œuvres japonaises jettent elles aussi un regard acerbe sur les représentants de Jésus, en les dépeignant pareillement comme des êtres lubriques et dangereux (FEMALE PRISONER : CAGED, LE COUVENT DE LA BETE SACREE, LADY NINJA KAEDE). Cette tendance antichrétienne au pays du Soleil-Levant, en partie liée à la tradition européenne du nunsploitation, peut être envisagée comme l’expression (détournée) d’un anti-américanisme très prononcé sur l’archipel. Puisque les gouvernants états-uniens ont la fâcheuse tendance à draper leurs exactions militaires du voile de la religion (flirtant avec la propagande de type « guerre sainte »), il semble presque naturel que les Japonais, ayant subi un colonialisme made in USA après l’holocauste nucléaire, voient d’un très mauvais œil tout ce qui touche au christianisme, à sa morale puritaine et à ses représentants…

En dehors de ce prêtre aux mœurs si délicieusement criminelles, d’autres « méchants » assurent eux aussi le spectacle : entre l’ivrogne en pleine déchéance physique et morale qui inspire autant la pitié que l’aversion, le gérant d’un club de danse insensible à la mort de ses différentes concubines, ou ce médecin héritier du Baron Frankenstein qui a embaumé la sœur de Saeko pour mieux abuser de son corps (mais c’est une manie !), le film présente une galerie de personnages sales, inquiétants et diablement pervers. La séquence pré-générique est à ce titre explicite : le massacre des passagers est un moment très cruel où des dizaines d’innocents sont la proie d’assassins qui jouissent à fusiller des êtres sans défense, retenus prisonniers par des chaines et des grillages… THE LIVING SKELETON est, encore aujourd’hui, un film fort et choquant dans sa représentation du Mal ; pour le reste, l’unique film de Matsuno est juste décourageant.

Mise en scène quelconque, héroïne aussi passionnante qu’une flaque d’eau, ellipses tellement violentes qu’on se demande si notre cerveau ne s’est pas déconnecté l’espace d’un instant : les tares du métrage sont innombrables mais l’indulgence est de rigueur tant THE LIVING SKELETON est, avec le recul, un film marquant. Rarement le cinéma japonais n’aura accouché de tels monstres humains et, des années après la vision du film, on se souvient encore de ce prêtre infernal et de son goût prononcé pour la chair morte. Destiné à un public en manque grave de films d’horreur old school, THE LIVING SKELETON n’arrive que péniblement à dynamiser la tradition gothique, et on lui préférera alors la trilogie vampirique de Michio Yamamoto (THE VAMPIRE DOLL, LAKE OF DRACULA, EVIL OF DRACULA) qui réussit bien mieux que Matsuno à marier culture japonaise et tropes gothiques. Même si, dans aucun de ses films, Yamamoto ne fait apparaître de personnage nécrophile.






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Article rédigé par : Clément X. Da Gama

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