Symphonie Macabre
Un tueur en série musicien torture des gamines, des micros placés sur tout le corps, pour graver les sons de leur agonie. Les policiers le retrouvent mort carbonisé aux côté de sa dernière victime. Bien vite, le danger touche les forces de l’ordre, peu à peu exterminées. Un ex flic, spécialisé dans la recherche d’enfants disparus, son ami encore policier et sa soeur qui travaille dans un centre pour femmes battues mènent l’enquête. Il semblerait que la musique sadique du compositeur fou ait ouvert un passage sur une autre dimension (le pouvoir de la musique…, on en sait quelque chose au moins depuis le Erich Zann lovecraftien).
SYMPHONIE MACABRE commence comme un fumetto italien sado-érotique des années 70 où des extra-terrrestres torturaient de belles filles pour enregistrer leurs cris de souffrance et les écouter à l’opéra de leur planète d’origine, en mélomanes avertis.
Mais la comparaison s’arrête là. Au graveleux un peu vulgaire de cette vieille mais géniale Elvifrance, Charles de Lint, musicien et aussi auteur du plus connnu MULENGRO, préfère une toute autre direction une fois le superbe prologue achevé.
Les policiers présents sur les lieux du massacre (dont un ripou violeur et violent) commencent à périr de la même façon que le tueur pervers : comme brûlés au lance-flammes. Les survivants pénétrent pendant leur sommeil dans une autre dimension, une morne plaine désertique, ou une cité qui serait semblable à la la leur… après une catastrophe nucléaire.
On pense cette fois à Freddy et au concept développé par Wes Craven dans ses films d’horreur oniriques. Le monstre aussi défiguré que griffu est d’ailleurs cité par les personnages de Charles de Lint.
De Lint tient un passionant discours, à travers SYMPHONIE MACABRE, sur les victimes : femmes battues, enfants violés ou maltraités… Cela n’a rien de gratuit, car la chose est étroitement liée à l’intrigue. Notamment par le biais d’un personnage féminin magnifique, Beth, qui a connu l’horreur sa vie durant : violée et torturée par ses pères (géniteur et adoptif), proie d’une tournante, atroce viol collectif organisé par sa soeur d’adoption et ses copains, et enfin, victime d’un mari tortionnaire et infâme – qui joue un grand rôle dans le roman. Ca fait beaucoup, diront certains. C’est pourtant très réaliste pour peu que l’on se penche un peu sur la question. Nombre de victimes sont malgré elles… des condamnées à vie, qui s’installent dans une sorte de chronicité dans l’horreur, changeant simplement de bourreaux. Même si l’espoir est toujours là, comme peut-être pour Beth.
SYMPHONIE MACABRE est réussi à tous les niveaux : littéraire, tant les belles pages abondent, fantastique (l’univers créé est fascinant), mais il est aussi d’une richesse rare sur le plan humain, par la grâce de beaux personnages et d’une émotion si forte qu’elle en paraît palpable. Le passage suivant résume bien la philosophie du roman et de ses héros :
« Ceux-là l’empêchaient de dormir. Ils hantaient ses rêves. Des prostituées de douze ans. Des drogués de treize ans. Des cadavres livides, décharnés par suite de la malnutrition, exhumés de tombes sommaires, charriés par des rivières… Chaque ville en avait. Ceux pour qui il serait toujours…
(trop tard) » (P.20-21)
Sur le même thème, on relira avec profit la violente nouvelle de Edward Lee EGALITE DES CHANCES, dans FORCES OBSCURES N°1 (éditions Naturellement), autre exemple d’horreur sociale très réussie. Ou encore certains romans de Jack Ketchum comme UNE FILLE COMME LES AUTRES ou FILS UNIQUE.
Dans SYMPHONIE MACABRE, la peur finit par changer de camp. Les victimes se vengent des ordures. Une vengeance malheureusement aveugle qui touche aussi des innocents, jusqu’au magnifique final que nous ne révèlerons pas ici. La violence est un cycle sans fin. Qui n’entraîne que le malheur. La souffrance. Et, de nouveau, la violence.