Alerte la nuit – Boris Karloff victime de sa naïveté
Vous ne vous tromperez pas en choisissant Alerte la nuit pour passer une bonne soirée devant une série B désuète des années 30. En effet, même si le réalisateur Lloyd Corrigan n’a pas marqué le septième art, son modeste thriller s’avère hautement recommandable.
C’est la crise
Le film s’ouvre sur un plan de la ville la nuit. Les gratte-ciels illuminés se dressent fièrement, symboles d’une civilisation arrogante.
Pendant ce temps, on nous explique comment fonctionne un système pour empêcher les cambriolages et mettre en cage ceux qui trichent, c’est ce qu’on appelle le progrès.
Ce procédé astucieux avait, à l’origine, été développé par le génialissime Mallory mais il se l’est fait dérober par le magnat Stephen Ranger.
Plusieurs années se sont écoulées et Mallory en a profité pour mettre au point un nouveau dispositif. Plus perfectionné, il met naturellement en danger l’hégémonie de Ranger.
Mallory espère bien cette fois-ci réussir à conserver son invention et pouvoir ainsi entrer, lui et sa fille, dans la cour des grands… pour se prélasser et profiter de sa fortune.
Malheureusement, Ranger se révèle plus retors encore que prévu et parvient, une nouvelle fois, à rouler Mallory dans la farine.
Mais le vieux bougre a décidé de ne pas se laisser faire cette fois-ci.
What I create, I can destroy
Avec son industriel véreux flouant les honnêtes gens en volant le fruit de leur travail, Alerte la nuit se pose, en 1937, comme une véritable critique du capitalisme.
Dès lors, le message que Mallory laisse sur les murs après chacun de ses forfaits, « Ce que j’ai créé, je peux le détruire », sonne comme une terrible invitation au sabotage à destination de tous ceux qui sont les réels créateurs de richesse.
Le message est délivré avec énergie puisque le film bénéficie d’un rythme qui ne faillit jamais durant ses 67 minutes. Mieux, Alerte la nuit alterne les genres, allant de la science-fiction au mélodrame, en passant par la comédie, le thriller, le policier, etc.
Cerise sur le gâteau, la photographie est superbe et le noir et blanc enchanteur.
Ceci étant dit, le gros point fort du film reste sa palette de personnages…
Alerte la Nuit ne compte pas un seul méchant, mais deux. Il y a l’homme d’affaires véreux, une véritable pourriture. Certes, à la fin, il retourne sa veste mais c’est par pur opportunisme, pas parce qu’il a appris une leçon. L’autre méchant est le Kid,un malfrat sadique, peut-être le personnage le plus charismatique du film. Élégant, jamais il ne s’énerve et parle avec une voix terriblement suave. Son sourire sournois dissimule un personnage particulièrement mesquin. Il est d’ailleurs capable des pires actions pour obliger Karloff à travailler pour lui.
La galerie des monstres
L’interprétation du personnage joué par le célèbre acteur qui restera à jamais dans les mémoires est ici à des années-lumière de celle livrée pour incarner la créature de Frankenstein. Boris Karloff joue un homme candide, honnête, qui ne ferait pas de mal à une mouche, mais qui ne se laisse pas marcher sur les pieds non plus. Sous son apparence inoffensive se cache finalement une personne avec un véritable sens moral.
Chacun de ces personnages clés peut s’enorgueillir d’avoir plusieurs faire-valoir qui tournent autour d’eux comme des satellites. Ces protagonistes tertiaires sont tous intéressants, enrichissant évidemment l’histoire.
Ainsi, l’acolyte de Boris Karloff est Louis le mesquin, surnom qui ne lui correspond pas du tout. C’est un petit voleur sans envergure et donc inoffensif et attachant. La fille de Boris Karloff est interprétée par la très belle Jean Rogers ; un an plus tôt, elle était aux côtés de Buster Crabbe dans l’excellent serial Flash Gordon. Pour Alerte la nuit, elle apporte la touche glamour de rigueur, tout en étant aussi pleine de conviction.
Autour de Samuel Ranger, l’industriel corrompu (pléonasme?), on trouve son vigile qui va séduire la fille de Karloff. Le bellâtre Warren Hull est ici entreprenant, toujours souriant, vaillant. Il garantit au film une certaine dynamique.
Même Le Kid dispose à ses côtés de personnages secondaires pittoresques, comme son technicien admiratif des inventions de Karloff.
C’est peut-être ici, dans la gestion des personnages que l’on pourra déceler la seule véritable faute de goût du film, lorsque le scénario décide de sacrifier l’un de ses personnages les plus sympathiques sur l’autel d’une morale déplacée.
Une raison de toute manière loin d’être suffisante pour se priver de cette excellente série B au goût délicieusement suranné.