Démons, crépuscule du fantastique à l’italienne
Produit par Dario Argento, Démons de Lamberto Bava est un film crépusculaire. D’une part, parce que c’est le dernier représentant légitime d’une illustre lignée de chefs-d’œuvre horrifiques produit par l’Italie. D’autre part, parce qu’il annonce, probablement à juste raison, des âges peu enthousiasmants.
À Berlin-Ouest, Cheryl se sent observée et poursuivie dans le métro avant de se rendre compte que l’homme étrangement masqué (Michele Soavi) avait juste l’intention de lui offrir deux tickets gratuits pour assister à l’avant-première d’un film d‘horreur au cinéma Metropol. Ravie, Cheryl profite de l’invitation pour emmener son amie Kathy le soir même.
Les spectateurs sont accueillis dans une ambiance étrange par une belle rousse non moins inquiétante (Nicoletta Elmi, inoubliable star enfant de La baie sanglante, Qui l’a vue mourir?, ou encore Les frissons de l’angoisse). Parmi eux se trouvent différents personnages, plus ou moins excentriques comme un aveugle accompagné de sa fille ou un proxénète flanqué de deux prostituées. Quoi qu’il en en soit, l’attention de tout monde est captée par l’intrigue du film d’horreur projeté à l’écran, dans lequel deux jeunes couples découvrent la tombe de Nostradamus et un étrange masque maléfique dont l’influence ne va pas se limiter à l’action à l’écran…
La première du cinéma Metropol
L’histoire du cinéma d’horreur italien commence en 1960 avec le Masque du démon de Mario Bava. Par la suite, le cinéma transalpin a considérablement enrichi le cinéma fantastique avec des œuvres célébrant une esthétique européenne, capables de s’adapter à toutes les évolutions du genre durant un quart de siècle. C’est ainsi que le cinéma fantastique italien est passé de l’épouvante feutrée d’un Anttonio Margheriti au gore le plus radical d’un Lucio Fulci, tout en restant à chaque fois fidèle à une esthétique gothique.
Le milieu des années 80 annonce cependant un changement de ton dans la production fantastique, qui trouvera son apogée avec des films comme Braindead (1992) de Peter Jackson ou Une nuit en enfer de Robert Rodriguez (1996). L’Italie ne réussira pas à s’adapter à cette évolution (régression diront certains). Dès le milieu des années 80, les studios italiens ne parviennent plus à livrer des films aussi notables qu’auparavant. Seul Michele Soavi s’approche parfois de la gloire passée grâce à des films comme Bloody Bird en 1987. Lui-même abandonne le genre en 1994 après DellaMorte DellAmore.
Nostradamus italien
Quoi qu’il en soit, lorsque Démons sort en 1985, personne ne se doute alors de sa puissance symbolique… Rendez-vous compte…
Les spectateurs piégés dans le cinéma du film Démons regardent une série B dans laquelle des adolescents mettent la main sur un masque maléfique, faisant référence au film originel du cinéma fantastique transalpin : Le Masque du démon.
Le Masque du démon est réalisé par Mario Bava, père de Lamberto, réalisateur de Démons.
Le producteur de Démons est Dario Argento, réalisateur culte, fils spirituel de Mario Bava.
Par conséquent, il est aisé de voir, dans ces démons qui sortent de l’écran de cinéma pour se répandre dans la ville, non seulement l’annonce de la fin du monde, mais aussi celle du cinéma fantastique italien. Le métrage de la paire Bava fils et Dario Argento a des allures d’œuvre visionnaire.
Mais c’est sur le plan artistique que Démons s’avère le plus réussi, son esthétisme surmontant aisément une interprétation calamiteuse (un peu plus difficilement un sexisme indéniable rendant le film quelque peu ridicule de nos jours).
Un esthétisme justifié
Parmi les nombreux atouts de Démons, la bande-son s’avère particulièrement intéressante. À la manière de celle de Phenomena, la musique passe allégrement de mélodies catchy et inquiétantes, réalisées sur les synthétiseurs de Claudio Simonetti, à du hard rock pur et dur promu par des groupes bien connus de l’époque tels que Accept, Billy Idol ou Mötley Crüe.
Visuellement, Démons offre une pléthore d’effets spéciaux splendides conçus par Sergio Stivaletti, l’un des plus éminents spécialistes européens en la matière. Chacun est magistralement mis en scène par Lamberto Bava dans des chorégraphies générant surprise, stupeur, dégoût, enthousiasme.
Cependant, Démons vire carrément au sublime lorsqu’il tente de saisir l’essence d’une capitale allemande alors encore privée de sa moitié. En une seule nuit, Démons capte formidablement l’ambiance et les couleurs sensorielles de Berlin-Ouest, la même métropole que celle dépeinte par Uli Edel pour son chef-d’œuvre Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée… Malgré ses éclairages bleutés séduisants et la sublime station Heidelberger Platz évoquant la majesté des cathédrales, Berlin n’offre pas un foyer rassurant aux jeunes marginaux, paumés et toxicomanes qui ont élu domicile dans ses nuits chaudes, tout comme l’intérieur confortable du cinéma désormais compromis par une horde de démons, annonciateur de temps anxiogènes.
Le héraut de la fin d’une époque, Démons est un peu le film de toutes les extrémités.