Barbazul
Alors qu’elle se prête à une séance photo, Soledad est abordée par un étrange personnage répondant au nom de Barbe bleue. Il la séduit, elle tombe sous le charme. Soledad vient habiter dans le domaine de son amant et futur mari, une vaste propriété isolée au cœur des vignobles. La passion du début de leur relation cède bientôt à l’ennui. Dans sa prison dorée, Soledad ne voit que Barbe bleue et Walter, le régisseur du domaine. Les journées passent, et puis Barbe bleue lui annonce qu’il doit s’absenter. Il lui confie les clés de la propriété, stipulant qu’elle peut aller où bon lui semble, à l’exception d’une seule pièce, dont l’accès est rigoureusement interdit. Bien évidemment, la curiosité est la plus forte, et Soledad se rend dans la pièce en question. Elle y découvre un journal de bord dans lequel son mari consigne ses activités principales. Avec horreur, Soledad réalise que Barbe bleue a vécu avec plusieurs femmes… des liaisons qui se sont toujours achevées par la mort de ses conquêtes. Barbe bleue est un pervers doublé d’un meurtrier, et Soledad devine que son sort va être le même que celui des femmes qui l’ont précédé.
Barbe bleue est un conte populaire rendu célèbre par Charles Perrault en 1697, inspiré du mythe de l’ogre. L’histoire de ce personnage riche et malfaisant, dont la barbe aux tons gris-bleu lui confèrent un aspect cruel et inquiétant, fut très vite adaptée dès l’apparition du cinéma par Georges Méliès, en 1901. Par la suite, plusieurs cinéastes s’intéresseront au personnage et l’adapteront à leur manière, comme par exemple Edgar George Ulmer (1944), Christian-Jaque (1951), Edward Dmytryk (1972) et Catherine Breillat (2009).
La dernière adaptation de BARBE BLEUE nous vient de Bolivie, par le biais de l’équipe de Pachamama Films dont les fers de lance sont Jac Avila et Amy Hesketh.
Actrice, productrice et scénariste, Amy Hesketh endosse pour la deuxième fois la casquette de réalisatrice (après SIRWINAKUY, en 2010) afin de livrer sa propre vision de ce personnage universellement connu (tout en écrivant le scénario et incarnant l’une des victimes de Barbe bleue). Tournée dans La Paz et ses environs, cette adaptation contemporaine s’avère exotique à plus d’un titre, non seulement au niveau du cadre mais aussi au niveau du traitement choisi par son auteur. Amy Hesketh n’a conservé que les grandes lignes de l’histoire, apportant certaines modifications comme la personnalité de Barbe bleue, qui n’est plus un être extraverti, exubérant, mais au contraire un homme plutôt renfermé, taciturne, très routinier et parlant peu. Ce dernier aspect aboutit à un film comprenant de longues plages de silence, ayant pour effet d’accentuer une tension déjà palpable. Les protagonistes évoluent dans une atmosphère lourde, pesante, où les regards en disent plus long que les mots.
Barbazul (contraction de Barba Azul, Barbe bleue en espagnol) est interprété par un Jac Avila terrifiant à souhait, mélange de Landru par son côté séducteur (charmant ses proies) et d’Albert DeSalvo (l’étrangleur de Boston qui tua une douzaine de femmes durant les années 1962/1964). Il parvient à donner du corps à un être somme toute médiocre, et dont la vie est axée sur certaines habitudes. Une routine telle qu’il utilise toujours le même mode opératoire lorsqu’il séduit une femme. Celle-ci doit être avant tout soumise à ses désirs, généralement d’ordre sexuel, où Barbazul montre un goût prononcé pour le sadomasochisme. Il finit inexorablement par étrangler sa victime dès lors qu’il est contrarié par celle-ci. Cela peut aller de la simple divergence d’opinion au refus d’obéir. Barbazul est un maniaque sexuel dont les déviances paraissent n’avoir aucune limite, allant jusqu’à s’adonner parfois à la nécrophilie.
Dans la forme, le film est structuré sur l’alternance entre le temps présent, avec le personnage de Soledad en tant que dernière « conquête » de Barbazul, et le flashback, lorsque Soledad découvre le journal intime de son amant et apprend ce qui est arrivé aux anciennes maîtresses de Barbazul. Le spectateur suit alors chacune des victimes du tueur en série, depuis la première rencontre jusqu’à la mise à mort.
Les actrices de BARBAZUL font preuve, dans l’ensemble, d’un grand sens du réalisme lorsqu’elles subissent le châtiment suprême de la part de leur tortionnaire. Les meurtres, qui s’apparentent à de longues agonies, semblent si réels que le spectateur ne peut s’empêcher de ressentir un sentiment de malaise. Belles performances, donc, de la part de Mila Joya, Veronica Paintoux et Amy Hesketh dans les passages concernés, qui suivent en règle générale une scène érotique. Il est évident qu’Amy Hesketh s’est attachée à décrire (avec efficacité) les liens étroits entre Eros et Thanatos, couple indissociable que tout oppose et pourtant réunit, et qui s’avère être un sujet très prisé dans les arts depuis plusieurs siècles.
La mort et l’érotisme sont donc deux piliers de cette œuvre dans laquelle Amy Hesketh fait preuve d’une grande maturité malgré son jeune âge. On a hâte de découvrir son quatrième long métrage (en post-production à l’heure où cette chronique est rédigée), OLALLA, d’après une nouvelle de Robert-Louis Stevenson publiée en 1885, et où il est question d’une famille de vampires.
Après avoir adapté Barbe bleue et le Marquis de Sade (avec LE MARQUIS DE LA CROIX), Amy Hesketh puise à nouveau son inspiration à travers la littérature classique, et, tout comme Jac Avila avec DEAD BUT DREAMING (tourné en 2013), aborde à son tour le thème du vampirisme. Décidément, voilà un duo qui n’a pas fini de nous surprendre. La Bolivie serait-elle la nouvelle terre d’asile du cinéma indépendant ? Au vu des résultats de Pachamama Films ces dernières années… oui, à n’en pas douter.