Dans les Veines
La Bit-Lit, qui a fleuri ces dernières années notamment sous l’impulsion des éditions Bragelonne (créatrices du terme) avant de se répandre chez des maisons concurrentes, est sans doute responsable de deux phénomènes. Le succès immense des histoires de vampires sentimentales, entre autres créatures fantastiques, auprès des jeunes femmes, mais aussi l’affadissement des mythes en question.
Le vampire, pour parler de lui, a été conçu pour faire peur, pour terrifier même, pas pour jouer les super-héros romantiques pour des héroïnes en mal d’amour. La faute, peut-être aussi à Buffy, avec ses Angel et Spike (bien vite) trop gentils, et ses vampires aussi facilement massacrables que de simples zombies. Cela n’empêche aucunement la qualité écrasante de la série de Joss Whedon, si l’on veut bien accepter l’existence de « monstres hygiéniques » pour reprendre une expression parlante de Jacques Finné. Cela n’empêche pas non plus des écrivains de Bit-Lit de tirer leur épingle du jeu, notamment par des qualités d’écriture, comme Patricia Briggs et Kelley Armstrong.
Bon. Tout cela n’éliminera pas le désir légitime chez les fans de la première heure, qui consommaient déjà du vampire alors que tout le monde crachait sur le genre, de revenir aux origines : un vampire, ça doit filer la trouille. Une peur bleue, une peur panique. Derrière le dandy séduisant, déjà rencontré chez Anne Rice, doit toujours se cacher la bête sauvage, le tueur en série surnaturel, le prédateur ultime.
Des gens comme David Wellington, avec ses VAMPIRE STORY, ont tenté l’opération en misant sur l’action violente à l’état pur. Pas mal du tout.
D’autres, comme Morgane Caussarieu dont nous allons parler ici, ont gardé le côté psychologique (et même sentimental si l’on veut) des oeuvres actuelles en le plongeant dans un réjouissant bain de sexe, de sang et d’immoralité, pour une oeuvre au fond plus proche de AUX FRONTIERES DE L’AUBE (film que va voir l’un des vampires du roman !) et AMES PERDUES de Poppy Brite que des dernières aventures amoureuses d’Anita Blake, TWILIGHT ou VAMPIRES DIARIES.
« Les gentils vampires, ça n’existe pas », nous avertit la quatrième de couverture. Les gentils humains non plus, à en lire ce magistral DANS LES VEINES, sans héros, où personne n’est tout bon ou tout mauvais.
La police, qui enquête sur les meurtres horribles perpétrés par les suceurs de sang ? Le bilan n’est pas terrible, entre la métalleuse raciste qui s’en prend à la vampire japonaise (excitante comme la porno-star Asa Akira !) parce qu’elle n’aime pas les Asiatiques, et son collègue, père incestueux de l’héroïne, Lily, qui la viole dès qu’il le peut, même s’il l’aime quand même à sa façon et fera tout pour la sauver des griffes du vampire dont elle est amoureuse.
Le vampire, justement ? Un beau ténébreux, avec un côté romantique certes (il revoit en Lily son amour perdu) mais aussi tueur sanguinaire et manipulateur de première qui se prendra à son propre jeu.
L’héroïne, une petite gothique de 15 ans, n’est guère plus « gentille », aussi attachante soit-elle. La vie ne l’a pas épargnée et elle n’hésite pas à utiliser son amant vampire pour se débarrasser d’une fille qui a eu le malheur de s’en prendre à elle. Mais au fond, il s’agit du personnage le plus pur du roman, avec peut-être une ex hippie fumeuse de joints, car elle reste avant tout une victime. De son père (présenter ce pédophile sans manichéisme tenait du tour de force, pari réussi) comme de son beau vampire aux yeux tristes.
Personne n’est totalement bon mais personne n’est totalement mauvais non plus. Il aurait été assez facile de prendre le contre-pied systématique de TWILIGHT pour en faire une version sexe/gore/trash. Non, beaucoup plus intelligement, Morgane Caussarieu fait vivre des personnages authentiques, jamais d’une pièce. Ses vampires sont d’abominables créatures de la nuit, oui, des ordures ennemies du genre humain, mais aussi des désespérés constamment victimes de leurs penchants sanguinaires et qui rêvent de leur humanité perdue. Tous sont ainsi : l’enfant-vieillard, le punk comme la Japonaise ou l’amant transi.
DANS LES VEINES est très gore et parfois franchement malsain : la fin est atroce avec l’exécution terrifiante d’un vampire à coups de tronçonneuse et d’essence enflammée, et la torture à retourner l’estomac de l’un des personnages principaux. On a rarement vu aussi métamorphose vampirique aussi trash, avec vomissement d’excréments et autres matières organiques.
Le final est sanglant, tragique, beau, désespéré. Est-ce qu’une histoire aussi sombre ne devrait pas forcément s’achever ainsi, dans le sang et la souffrance ? Une histoire de vampires aussi extrême pourrait-elle connaître une autre fin ?
Autant dire que nous lirons avec joie un autre roman d’horreur de Morgane Caussarieu, déjà auteure d’une étude sur le vampirisme. .