Sueurs Froides en version papier

Au sommaire du numéro 37 : Dossier Val Lewton, Nancy Drew, Biographie de Ulli Lommel, la saga Flower and Snake, la franchise Leprechaun, entretien avec Patrice Herr Sang, Entretien avec Marian Dora.
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France - 2013 - Huguet Sylvie

Un texte signé Patryck Ficini

Rouge Alice

Après LE PASSAGE et l’excellent AVEC ELLE, ROUGE ALICE est le troisième recueil de nouvelles de Sylvie Huguet publié à la Clef d’Argent, où l’on trouve aussi un petit roman de fantasy de l’auteure, LE DERNIER ROI DES ELFES.
Pas de déception pour qui apprécie l’univers de l’écrivaine aux 150 nouvelles. On retrouve tout ce qui fait son charme et sa force dans ce ROUGE ALICE. A savoir :du fantastique, du merveilleux, de l’horreur quand il le faut, mais aussi une passion véritable pour la nature et les animaux, magnifiquement évoqués dans les 7 textes présentés ici.
Les qualités purement stylistiques de Sylvie Huguet n’étant plus à démontrer, évoquons maintenant ces nouvelles, une par une.
ROUGE ALICE, véritable novella, tient du fantastique le plus pur (c’est à dire que le doute subsiste à la fin) tout en instillant un début d’enquête policière (pas le plus important ici, cependant). Les rapports conflictuels entre l’héroïne, follement passionnée par les loups, et sa grand-mère autoritaire et abusive évoquent les textes d’AVEC ELLE. Lorsque cette dernière meurt de peur, un policier soupçonne la belle Alice, à vrai dire peu attristée, d’avoir engagé un tueur à gages pour se débarrasser de l’encombrante harpie et ainsi empocher l’héritage qui lui permettrait de financer une expédition arctique au pays de ses chers loups. D’une certaine façon, on peut dire que ce texte original, subtil, évoque la lycanthropie sans jamais sortir l’artillerie lourde du genre.
LE RENARD BLEU est une pure nouvelle d’horreur, plus franchement surnaturelle, qui donnera à réfléchir (peut-être) aux amatrices de fourrures. Le contentement teinté d’une vague honte d’une acheteuse fortunée à l’idée qu’on a tué 150 renards (150 !) pour coudre son manteau fait tout bonnement frémir. Son sort sera aussi terrible. On pensera aussi à J’AURAI LEUR PEAU de Dario Argento… Huguet sait se montrer implacable dans ce qu’elle maîtrise peut-être le mieux : le fantastique écologique !
LE DOSSIER MORDRET reprend la thématique de l’enfant-loup avec brio. On y trouve notamment un intéressant personnage de chasseur assez abject dans son obsession meurtrière.
Avec la SEVE DE NOEL, l’auteure engagée (à notre avis) évoque la souffrance indicible d’un sapin de Noël arraché à sa terre nourricière pour contenter une petite fille riche… qui finira bien mal on s’en doute. En Franche-Comté, des légendes évoquent le sapin, peut-être paradoxalement, comme un arbre de Satan. On comprend mieux ce qui est peut-être aussi une nouvelle de vampire VRAIMENT originale en lisant le commentaire de Huguet relatif aux sacrifices de sang que l’on répandait aux pieds des arbres antan, lors du solstice d’hiver. Autres temps, autres moeurs. Depuis, la tradition païenne, comme d’autres, a été récupérée et édulcorée par le Christianisme :on y dépose des cadeaux. Ce qui est moins terrifiant, on en conviendra. LA SEVE DE NOEL est d’une certaine façon aussi un récit d’horreur, comme on en lit peu.
SOEUR LOUVE est peut-être une nouvelle encore plus atroce par le réalisme très cru de cette gamine violée par son père (encore un chasseur !) et qui se venge d’une sanglante façon. L’évocation du viol incestueux retourne le lecteur dès le premier paragraphe où pourtant presque tout est suggéré. Lycanthropie là-encore, mais très originale. Sylvie Huguet a développé un univers tellement personnel qu’elle aurait bien du mal, semble-t-il, et le voudrait-elle, à écrire un récit sans inspiration et de la plus grande banalité. Nombre d’auteurs « fantastiques » ne se gênent pas, gâchant peut-être ainsi l’intérêt d’un genre qui n’ a pour seules limites que celles de l’imagination.
EVEIL est un texte qui tient du merveilleux, où l’on retrouve (peut-être) un personnage du DERNIER ROI DES ELFES… et une licorne comme dans LA LICORNE. Sylvie Huguet marie ici le quotidien le plus sordide (un meurtre et un viol terrifiants, mais sans description complaisante) avec la beauté la plus pure (le monde des elfes et des animaux fabuleux qui accueille la jeune victime). Magnifique !
Pour finir, CLAIR D’ETOILES évoque à notre souvenir un très émouvant texte de Robert Bloch, CHEZ LE DINGUE (in LA BOITE A MALEFICES). Comme ici, des malfrats incultes s’introduisent chez un doux rêveur pour lui dérober ce qu’ils croient être des objets de valeur, en fait son bien le plus précieux d’un point de vue sentimental. Chez Bloch, il s’agissait d’une belle collection de B.D, chez Huguet, des pages d’un manuscrit. Un conte pour enfants magnifique qui ne suscitera (forcément) que mépris chez les vandales bassement matérialistes qui roueront de coups le pauvre écrivain. Parmi eux, son petit-fils, pour qui il avait écrit le conte alors qu’il était enfant. Terriblement fort.
Toutes les pages sur la nature sont un régal ; nombreuses dans ces textes, elles se teintent de merveilleux et de beauté pure. Ce qui n’empêche en rien toute la cruauté, la vulgarité et la stupidité du monde des hommes d’exploser dans les pages de ROUGE ALICE, le recueil de Sylvie Huguet qui aborde horreur et fantastique à sa façon, peut-être comme nul autre.



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Article rédigé par : Patryck Ficini

Ses films préférés : Django, Keoma, Goldfinger, Frayeurs, L’Au-delà

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