Fantasmagories
Un petit garçon se retrouve seul dans sa maison ne trouvant aucun signe de vie, et nulle trace de ses parents ; des enfants sauvages vivant dans les arbres observent avec envie les enfants d’en bas jouant près d’une fontaine ; une petite fille morte d’ennui se transforme en flaque d’eau ; une petite fille aux yeux verts attise la colère de tout un groupe de passagers piégés dans un train arrêté en pleine campagne enneigée ; un enfant fasciné par la mer devient un adulte qui s’y perd ; un petit garçon fasciné par le tapis rouge de l’escalier de l’opéra n’a de cesse de tenter d’y retourner ; une petite fille rêve de voyage avec son cheval ; une petite fille battue voit ses bleus devenir des papillons…
FANTASMAGORIES de Marianne Desroziers nous plonge dans l’univers des contes et de l’enfance. Ses contes oscillent entre fantasme, rêverie, merveilleux tout en suggérant la tragédie, la cruauté du monde et l’incompréhension entre les adultes et les enfants. Tantôt les héros sont naïfs, tantôt cyniques, tantôt ils sont victimes des adultes, tantôt ils en sont les bourreaux. Les contes de ce recueil explorent les facettes de l’enfance, de l’image la plus pure et la plus innocente à la plus cruelle et la plus violente.
Savant dosage entre la noirceur de l’âme humaine et la blancheur de l’innocence incarnée par l’enfance, l’autrice bouscule les lignes et les limites établies par l’imaginaire moderne. L’enfant n’est pas seulement innocent comme le racontait justement Henry James dans LE TOUR D’ÉCROU, l’un des romans gothiques les plus effrayants qui soient. Il peut être cruel, terrible, la réflexion mortifère des fantasmes des adultes, mais aussi le sombre reflet de l’âme torturée des adultes. Parce qu’ils peuvent être une éponge émotionnelle, les enfants peuvent répéter les erreurs des adultes ou au contraire, chercher à tout prix à les fuir. Ainsi nombre des contes de Marianne se concluent par une fugue. Sauvages ou sages, les enfants aspirent à la liberté si chérie par FIFI BRINDACIER. L’autrice suédoise Astrid Lindgren dépeignait en 1945 une enfant sauvage et rebelle dotée d’une force et d’un caractère hors du commun qui déboulait dans la vie de deux enfants ordinaires et bouleversait la vision conformiste et autoritaire de l’éducation à l’occidentale. C’est le même esprit révolutionnaire qu’on retrouve dans ces contes, mais avec une nuance de noirceur et de tragédie.
Parce que certains de ces enfants sont abandonnés, rejetés, ou même battus, ils cherchent à explorer un monde de fantaisie et de rêverie pour échapper à leur difficile quotidien. D’autres parviennent à trouver dans d’obscures forces le pouvoir de se libérer des adultes qui les enferment, les condamnent, ou même, cherchent à les tuer. La tragédie peut aussi s’inviter d’une manière plus subtile, comme au travers d’un accident mortel, du suicide ou de la disparition d’un parent. Mais tout le long du recueil la tragédie se répète inlassablement sous des formes différentes comme si la mort et l’enfance pouvaient s’épouser que sous la forme d’un conte féerique et à la fois tragique.
La plume de Marianne Desroziers est en apparence simple et fluide, mais se révèle presque gothique par moment. Parvenant à mêler l’ancien et le moderne, elle ravive le souvenir des anciens contes que tout un chacun a pu lire ou se faire lire durant son enfance. Et ce avec une fluidité et une simplicité qui rend la lecture très aisée. Et comme les contes sont courts, et le recueil assez léger, sa lecture sera d’autant plus rapide !