Hallucination Strip
A Rome, au milieu des années ’70. Dans un contexte politique et social particulièrement trouble, Massimo Monaldi évolue entre deux univers : celui de la haute bourgeoisie et de la noblesse (par le biais de sa petite amie Cinzia Roldi et de son camarade Rudy), et celui des contestataires, dont les porte-paroles sont les étudiants et les marginaux (comme les hippies). Massimo vit également de rapine, commettant quelques larcins et dealant de la drogue. Afin d’aider un jeune couple en difficulté recherché par la police, Massimo commet un vol dans la maison des parents de Cinzia. Il compte revendre les objets dérobés pour acheter deux billets d’avions à ses amis. Sans s’en rendre compte, il s’empare d’un objet de grande valeur, un pot à tabac datant du XVIIIème siècle. Roldi porte plainte à la police, qui confie le dossier à l’inspecteur De Stefani, un fin limier. En marge du vol, Massimo doit également répondre aux besoins de Rudy, qui veut du LSD pour la soirée qu’il va donner prochainement. Ses contacts n’étant pas en mesure de lui fournir la marchandise, Massimo se voit obligé de passer un accord avec le Sicilien, un dangereux trafiquant de drogue. Bientôt, le jeune homme se trouve pris en tenaille entre ce dernier et De Stefani. Une situation délicate qui va avoir des conséquences tragiques…
Contrairement à ce que son titre pourrait laisser croire, ROMA DROGATA : LA POLIZIA NON PUÒ INTERVENIRE n’est pas à classer dans la catégorie du poliziottesco. Il s’agit plutôt d’un drame mâtiné d’une étude de mœurs, dans lequel l’intrigue policière n’est que secondaire, ce qui ne retire en rien la performance de Marcel Bozzuffi, campant avec brio un inspecteur particulièrement intuitif. Pas étonnant de la part d’un acteur qui joua dans bon nombre de films policiers aussi marquants que différents, qu’il s’agisse de Z, FRENCH CONNECTION ou LA GUERRE DES GANGS.
Si le réalisateur de ce HALLUCINATION STRIP (titre d’exploitation pour l’exportation) est un parfait inconnu (Lucio Marcaccini, dont ce sera l’unique film), le scénariste, Vincenzo Mannino, s’est quant à lui signalé au niveau de l’écriture dans plusieurs polars italiens, parmi lesquels ROME VIOLENTE, BRACELETS DE SANG et OPERATION CASSEUR.
Mais le grand mystère reste la présence de Bud Cort qui incarne le personnage principal, celui de Massimo. L’acteur américain, alors âgé de vingt-sept ans, se met dans la peau d’un étudiant à peine majeur, un rôle qu’il parvient cependant à rendre crédible de par son visage juvénile, limite androgyne malgré sa barbe. Révélé en 1970 par Robert Altman grâce à M.A.S.H. et BREWSTER MCCLOUD, puis consacré l’année suivante avec HAROLD ET MAUDE de Hal Ashby, on se demande quelle mouche a pu piquer Bud Cort pour qu’il se retrouve à tourner en Italie dans un film obscur comme celui-ci. Non pas qu’il y joue mal ; au contraire, il parvient à se rendre autant attachant que détestable auprès du spectateur, selon les circonstances. D’une manière générale, il se tire honorablement dans sa composition de délinquant idéaliste, désireux d’aider son prochain sans réaliser qu’il risque parfois de causer sa perte. En dehors de Bud Cort et Marcel Bozzuffi, on retrouve plusieurs figures récurrentes du cinéma populaire de cette époque, comme Leopoldo Trieste (LA BAIE SANGLANTE), Patrizia Gori (EMMANUELLE ET FRANCOISE), Umberto Raho (SATANIK), Eva Czemerys (THE KILLER RESERVED NINE SEATS) ainsi que le Hongrois Tom Felleghy, de son vrai nom Tomas Fellegi, vu dans pas mal de péplums, westerns, films d’aventure et d’espionnage, et quelques gialli dont LE CHAT A NEUF QUEUES et 4 MOUCHES DE VELOURS GRIS de Dario Argento.
HALLUCINATION STRIP est donc une chronique sociale, dans laquelle l’auteur décrit plusieurs « mondes » que tout oppose en apparence, celui des bourgeois (les parents de Cinzia), des nobles (la mère de Rudy est comtesse) et celui des prolétaires et des marginaux. A travers cette peinture quelque peu stéréotypée, Lucio Marcaccini s’attarde aussi sur le conflit des générations, que ce soit entre parents et enfants ou professeurs et étudiants. Le réalisateur jette un regard sombre sur l’Italie des années soixante-dix, sans se montrer plus original qu’une partie de ses confrères, si ce n’est qu’il propose avec De Stefani un portrait de policier sortant de l’ordinaire.
Néanmoins, l’œuvre bascule lors de la fameuse scène de trip hallucinatoire donnant son titre au film. Longue d’une dizaine de minutes, elle est située après presque une heure de métrage, lors de la soirée organisée par Rudy. Le spectateur est alors convié à partager les visions de Rudy sous l’emprise du LSD. Dix minutes anthologiques (sans lesquelles le film serait resté quelconque, il faut le reconnaître), permettant de comprendre la personnalité de Rudy, atteint d’un complexe oedipien, amoureux d’une seule femme, sa mère, un amour impossible qui explique pourquoi le jeune homme choisit la voie de l’homosexualité sans pour autant l’assumer. Tout cela est mis en image sous forme d’un tableau onirique à l’esthétique très soignée, avec un ballet tantôt contemporain, tantôt psychédélique, chargé de symboles. Rien que pour ces dix minutes, cette œuvre méritait de sortir de l’oubli.