La Trilogie Shogun
Fukasaku livre une chronique sombre qui dépeint les valeurs féodales des Tokugawa. Il y introduit une violence graphique impressionnante, servit par un casting incroyable, certains effets de style (décadrages) et certains éléments sophistiqués d’intrigues qui tirent le film vers le baroque.
La marque de naissance d’Iemitsu évoque, au cinéphile, celle qui défigurait le héros tragique, prédestiné à la mort et la destruction, de MEURTE A YOSHIWARA (Tomu Uchida- 1960). Le réalisateur ne dévie pas de sa ligne directrice: il traite les deux frères, prétendants au trône, sur un même pied d’égalité. Même la description du shogun reste sur une réalité historique. C’est là le grand talent de Fukasaku: il traite à fond son histoire sans jamais verser dans le côté shakespearien de l’oeuvre. Sonny Chiba trouve là un rôle à sa mesure en incarnant Jubei Yagyu, célèbre figure du sabreur borgne, déchiré entre son honneur et sa famille. L’acteur apporte une certaine noirceur au récit, mais aussi, son équipe fétiche: Hiryuki Sanada et Etsuko Shiomi. Le premier verra sa carrière s’envoler en incarnant le sabreur muet du DERNIER SAMOURAI avec Tom Cruise. La seconde interpréta l’inoubliable SISTER STREET FIGHTER (film de son mentor tourné en 1974).
SHOGUN NINJA, de Norifumi Suzuki (grande figure du pinku eiga) est produit par la Toei, suite au succès rencontré par SHOGUN SAMOURAI. A noter que Suzuki a déjà dirigé Sonny dans l’excellent SHAOLIN KARATE en 1975. Au sortir du film, nous sommes sous le choc, nous demandant: « comment Suzuki a-t-il pu mettre de telles musiques (jazz, et même du disco), dans un jidai geki »??? Cela donne quand même du comique involontaire au film. Par contre, nous reconnaissons bien le réalisateur par ses meurtres sanglants et, quelquefois, sadiques. L’ironie est non moins constante car elle finit par être une source ambivalente d’inquiétude et de féerie. C’est un cinéma adulte qui semble s’adresser aux adolescents. Suzuki tente des effets de style, comme Fukasaku, sauf que chez lui, ça ne marche pas très bien. Comme le zoom au ralenti sur un une joueuse de flûte se suicidant, qui n’apporte rien au métrage. L’histoire est décousue, les influences disparates et les sauts de tons étourdissants. Malgré ces points faibles, le film de Suzuki reste extrêmement sympathique et drôle et impose un nouveau genre: le néo-jidai geki.
SHOGUN SHADOW ne partage pas que l’histoire avec le film de Fukasaku. On retrouve le mythe oedipien et aussi profondément tragique et shakespearien, que son prédécesseur, qui plane sur tout le métrage (d’ou son titre). Ce film marque la fin du genre jidai geki au cinéma. Le protagoniste Ken Ogata (LA VENGEANCE EST A MOI-1979) apporte une profondeur, voire une mélancolie particulière à son personnage. Mais il incarne surtout un sabreur vieillissant et fatigué, figure qui n’était jamais populaire au sein d’un genre plutôt tourné vers la fougue et la jeunesse. Sonny Chiba (tout juste âgé de cinquante ans en 1989) donne une nouvelle dimension à son personnage. Ce qui intéresse Furuhata, c’est l’évolution syntaxique de la manière de filmer: les prises de vues heurtées doublées d’un découpage nerveux (un plan d’ensemble succède à un plan rapproché) dominent les effets spéciaux de bonnes factures. Il n’hésite pas à mettre une touche sanglante au film, lors des combats. Il semblerait que ce soit le dernier jidai geki doté d’un gros budget.
Cette trilogie constitue une très bonne surprise et mérite d’être découverte par tous ceux qui doutent de la qualité du cinéma asiatique. Elle prouve aussi que le jidai geki n’est pas mort. Superbement remis au goût du jour par le grand Kinji Fukasaku grâce à un film monstrueux. Le genre fait réellement peaux neuve avec le barré SHOGUN NINJA de Suzuki qui offre, fidèle à lui même, un film dément avec des musiques décalées où l’histoire ne se suit pas vraiment et où Hiroyuki Sanada se prend pour Bruce Lee. Il instaure le néo-jidai geki. Furuhata, avec SHOGUN SHADOW, fait magnifiquement retentir la fin d’un genre qui a donné tout ce qu’il pouvait et nous a donné de quoi rêver pendant des années.