La vengeance de Lady Morgan
Susan est la nièce de Lord Blackhouse, un riche châtelain chez qui elle vit et qui la considère comme sa propre fille ; la jeune femme est amoureuse de Pierre Brissac, un architecte français venu travailler au château. Leur idylle étant approuvée par Lord Blackhouse, Susan met un terme à la promesse de mariage qui était fixée avec Sir Harold Morgan ; ce dernier s’incline sans rancune. Malheureusement, Pierre est victime d’une agression à bord d’un bateau : assommé, jeté à l’eau, on le croit mort ; il se réveillera dans un hôpital, totalement amnésique. Pendant ce temps, l’inconsolable Susan s’est résolue à épouser Harold Morgan et l’on comprend vite que ce dernier n’est pas étranger à « l’accident » de Pierre. A peine installé au château, le sombre individu fait mettre Lord Blackhouse aux oubliettes et avec l’aide de deux complices, Lilian (sa maîtresse) et Roger (son homme de main) compte bien faire disparaître sa tendre épouse pour devenir l’héritier de sa fortune…
Il a fallu attendre le milieu des années quatre-vingt dix pour identifier avec certitude le réalisateur Massimo Pupillo (alias Max Hunter) et lui attribuer trois films fantastiques tournés la même année ( !) 1965 : LE CIMETIERE DES MORTS-VIVANTS, VIERGES POUR LE BOURREAU et LA VENGEANCE DE LADY MORGAN. Issu du cinéma documentaire, sa seule passion, Massimo Pupillo ne semble avoir tourné ces bandes, ainsi que les suivantes, que pour des raisons alimentaires et il laissera même le vague producteur Ralph Zucker s’attribuer la paternité de son premier long-métrage, très apprécié à l’époque par la critique spécialisée en France. VIERGES POUR LE BOURREAU sera quant à lui presque unanimement traîné dans la boue tandis que LA VENGEANCE DE LADY MORGAN demeurera inédit à l’exception d’une très discrète sortie en salles en Italie. Après un petit western, DJANGO LE TACITURNE (1967) et quelques « mondos » à tendance érotique dans les années soixante-dix, l’énigmatique réalisateur reviendra au documentaire avant de disparaître totalement des écrans ; personne ne semble en mesure actuellement de savoir où il se trouve ni même s’il est encore de ce monde…
C’est donc en 1965 que Massimo Pupillo tourne sa « trilogie fantastique », dans des conditions plutôt précaires (budgets anémiques, tournages en quelques jours…) et à une période qui est aussi celle de la fin de l’âge d’or du gothique italien que l’on peut dater de l’année suivante avec la sortie du stupéfiant OPERATION PEUR de Mario Bava (1966). Comme la majorité des films d’épouvante transalpins des années soixante, LA VENGEANCE DE LADY MORGAN est très marqué par des influences anglo-saxonnes, à la fois littéraires (Edgar Poe, le Roman Noir victorien…) et cinématographiques (les œuvres de la Hammer, les « thrillers psychologiques » américains des années quarante dont le REBECCA d’Alfred Hitchcock, 1940, serait le modèle). Le scénario du film, nourri de ces influences, est signé Gianni Grimaldi (alias Jean Grimault !), plutôt spécialiste de la grosse comédie mais également auteur du script du très sympathique LE MANOIR DE LA TERREUR (Alberto de Martino, 1962) et du superbe LA DANSE MACABRE (Antonio Margheriti, 1964). Pour LA VENGEANCE DE LADY MORGAN, le scénariste semble avoir habilement hybridé ces deux précédents efforts, gardant du premier le thème du complot criminel contre l’héroïne et du second ses principales figures fantastiques (spectre vengeur, fantômes, vampires…).
Le film est donc scindé en deux parties bien distinctes au développement équitable : un premier acte réaliste et souvent un peu trop prévisible nous présente les différents aspects du complot organisé contre celle qui a dû prendre le patronyme de Lady Morgan (la jolie mais un peu fade Barbara Nelli, vue dans LIZ ET HELEN de Riccardo Freda, 1969) tandis que le second acte s’ouvre avec sa résurrection sous la forme d’un esprit vengeur et fait entrer le film dans le registre fantastique. Le lien narratif entre ces deux segments à la tonalité opposée se fait par le biais d’une histoire d’amour que l’on pourrait qualifier de naïve si elle n’était pas ancrée dans une forme de romantisme magique : les amants séparés (par la distance géographique, par le passage de Susan dans l’autre monde…) demeurent en lien de façon inexpliquée puisqu’au moment où sa bien-aimée meurt, Pierre retrouve subitement la mémoire et il sera ensuite le seul à percevoir l’enveloppe corporelle de celle-ci après son retour d’entre les morts. A l’opposé de ce couple qui dépasse la simple et terrestre notion de « fusionnel », se trouve une espèce d’hydre tricéphale formée par l’infâme Harold Morgan (le suave Paul Muller, nettement moins effroyable qu’en tortionnaire de Barbara Steele dans le génial LES AMANTS D’OUTRE-TOMBE de Mario Caiano sorti quelques mois plus tôt), la belle et glaciale Lilian (magnétique Erika Blank vue en douce victime dans OPERATION PEUR) et le sadique Roger incarné tout en ricanements et grimaces par le culturiste Gordon Mitchell (l’excellentissime LE GEANT DE METROPOLIS de Umberto Scarpelli, 1961). La dichotomie est donc prégnante ici entre d’un côté la pureté, l’idéal romantique, l’idée que l’Amour reste plus fort que la mort et de l’autre une forme de dégénérescence morale, de perversité de l’âme, de haine de l’autre qui trouvera son expiation dans le supplice perpétuel que devra endurer le trio maléfique.
Si le film peut paraître un peu timide lorsqu’il s’agit de développer visuellement une atmosphère macabre et gothique (peu de scènes nocturnes ou situées dans les souterrains du château, l’imagerie liée à l’épouvante reste discrète…), son dernier tiers est en revanche très réussi car il joue notamment sur un double effet d’accélération du rythme (du récit, du montage) et d’accumulation des éléments fantastiques : les trois comploteurs sont assassinés, reviennent sous la forme de spectres…assoiffés de sang humain ( !) et sont prêts à s’entretuer pour mettre la main sur la fortune de Susan. Signalons que l’on retrouve dans LA VENGEANCE DE LADY MORGAN les intérieurs du magnifique Château Chigi, demeure du dix-septième siècle située dans la campagne romaine et que Massimo Pupillo avait utilisée pour LE CIMETIERE DES MORTS-VIVANTS quelques mois auparavant. Même si d’un film à l’autre la décoration a été changée, que le réalisateur a veillé à ne pas cadrer les pièces principales selon les mêmes angles ou à utiliser la topographie différemment (à l’image de cet étroit escalier presque abstrait qui revient de façon récurrente dans le second opus et que l’on ne fait qu’apercevoir dans le premier), il est assez troublant d’imaginer les deux œuvres comme étant complémentaires l’une de l’autre, l’une et l’autre se reflétant, se rejoignant presque à travers la surface/miroir fantastique de l’intemporel Château Chigi.
LA VENGEANCE DE LADY MORGAN est, pour conclure, une authentique réussite de l’épouvante gothique servie par une belle photographie noir et blanc privilégiant, fait assez rare dans le genre pour être souligné, les ambiances diurnes et les plans très éclairés. Empreint, à l’instar de la majorité des œuvres de cette période crépusculaire du fantastique italien, d’ une forme de poésie mélancolique, il manque cependant au film quelques séquences graphiquement audacieuses ou totalement originales pour accéder au rang des réussites majeures. Ses qualités indéniables ainsi que sa grande rareté font néanmoins de LA VENGEANCE DE LADY MORGAN un titre à découvrir absolument.