Un texte signé Philippe Delvaux


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retrospective

L’Antéchrist

Paralysée des jambes depuis ses douze ans et l’accident de voiture qui couta la vie à sa mère, Ippolita mène une vie aussi fastueuse qu’aigrie, au sein de sa princière famille romaine. Toute les thérapies pour la faire remarcher ont jusqu’à présent échoué. Fervent catholique – l’oncle Ascarrio est rien moins qu’un cardinal – son père emmène Ippolita à une procession en l’honneur de la vierge des sept douleurs où, au milieu d’exaltés, elle espère une guérison miraculeuse, nouvel espoir déçu. Mais l’expérience est passablement traumatisante, entre fidèle accompagné d’un serpent, hystériques se roulant au sol et fou furieux finissant par se jeter du haut d’une muraille voisine. Dans les jours qui suivent, le caractère d’Ippolita change. Seul le psychiatre Sinibaldi arrive à la faire remarcher, par hypnose qui lui fait revivre de douloureux souvenirs d’une vie antérieure où elle finit au bucher, condamnée pour sorcellerie et pacte avec le diable. Suite à cette expérience, ses changements d’humeur s’aggravent… jusqu’au moment où l’évidence s’impose : quelque chose a pris possession de l’esprit et du corps d’Ippolita.

En 1973, William Friedkin secoue la planète entière avec L’EXORCISTE. Traumatisant, nouveau, intelligent, le film terrifie les spectateurs partout où il est projeté.

En Italie, le cinéma populaire fonctionne régulièrement sur le mode de la copie : des ersatz locaux sont rapidement produits dans la foulée d’un succès commercial. L’EXORCISTE va donc engendrer pendant quelques années une série de déclinaisons italiennes : LA POSSÉDÉE, L’ŒIL DE LA COLÈRE, EMILIE, L’ENFANT DES TÉNÈBRES (Chroniqué sur Sueurs Froides), MALABIMBA (également chroniqué sur Sueurs Froides). L’ANTÉCHRIST est la première de ces variations, et certainement l’une des meilleures.
La production a en effet très rapidement lancé le chantier d’une itération italienne des cas de possession et L’ANTÉCHRIST a atteint les salles italiennes moins de deux mois après la sortie locale de son modèle, signant un excellent score au box-office, qui se répétera d’ailleurs dans plusieurs autres pays.

Quantitativement riche, le film de genre italien de ces année-là développe un spectre qui passe des petites productions désargentés, les « Z » fauchés et souvent tournés sans talents ni grandes idées, à un cinéma qui, même lorsqu’il cherche à répéter une recette à succès, entend le faire avec sérieux, en répartissant un budget correct à une équipe compétente.

Ainsi de cet ANTÉCHRIST dont la réalisation a été confié à Alberto de Martino, petit maitre italien du ciné de genre, qui peut se targuer d’une très correcte filmographie et qui signe ici le film dont il restera le plus fier.

Pour la musique, c’est l’inévitable maestro Ennio Morricone à qui revient la tâche de surligner la peur, aidé par son comparse de l’époque, le non moins talentueux Bruno Nicolai. La photographie, absolument superbe, est signée Arestide Masacesci (qui va bientôt se lancer avec succès dans la réalisation sous le nom de Joe d’Amato).

Au casting, que des stars du ciné populaire de l’époque : Mel Ferrer, Arthur Kennedy, Umberto Orsini, Anita Strindberg, Alida Valli et, campant une Ippolita habitée, Carla Gravina.

Soyons de bon compte, même si on a envie de tresser des lauriers, on peut cependant déplorer le jeu un peu compassé d’une bonne partie de ce casting. Certes, les protagonistes font partie de la haute société (ce qui réfrène peut être l’expression de leurs sentiments), certes, les codes de l’époque mettent souvent en scène des personnages plus flegmatiques que ceux dessinés de nos jours, néanmoins, on peut regretter ce choix de direction qui ne laisse pas d’étonner lorsque tel demeure imperturbable face à des manifestations qui outrepassent le simple « étrange ». Une exception cependant, et de taille, Carla Gravina, qui nous joue une Ippolita possédée par son rôle et par le démon. Satan l’habite, quoi de plus normal après avoir embrassé le cul de son incarnation en bouc ! Carla Gravina se révèle aussi juste pour camper une handicapée frustrée et mal dans sa peau, possessive et jalouse de la nouvelle compagne de son père, que pour exprimer chacun des niveaux de sa possession. Une superbe performance d’actrice.

S’il entend marcher dans les pas de L’EXORCISTE, L’ANTÉCHRIST s’en éloigne cependant à plus d’un titre, trahissant par-là ses origines latines – L’Italie, a fortiori en 1973, est encore un pays très majoritairement catholique, même si l’époque est à la remise en question des dogmes. Si William Friedkin traite la possession sous l’angle de la déroute de la mère et du doute de l’Eglise, De Martino ne s’embarrasse lui pas de ces raffinements : il faut montrer plus frontalement la possession, qui est un acquis que le point de vue de la réalisation ne s’embêtera pas trop à questionner. L’exhibition foraine est au contraire assumée : le diable s’incarnant dans le corps d’une belle jeune femme doit se voir. Ce qui n’enlève rien au talent du réalisateur pour ce faire. Et qui dit exhibition ne dit pas nécessairement abandon de tout discours : la séquence d’ouverture à la tonalité vériste quasi documentaire, et qui renvoie à l’imagerie des mondos alors en vogue, est plus critique à l’égard de la foi que bien des discours, même si le reste du métrage s’installera en opposition à cet angle de départ. A d’autres égards, L’ANTÉCHRIST reprend nombre de motifs de L’EXORCISTE, tant pour les personnages (à l’absence du père de L’EXORCISTE correspond celle de la mère dans L’ANTÉCHRIST, l’autorité ecclésiastique se montre pareillement en proie au doute et au scepticisme, l’exorciste est là aussi un vieux prêtre fatigué…) que pour les passages graphiques, lesquels sont cependant poussés à leur paroxysme.

La différence majeure d’avec le film de Fridekin est que ce dernier concentre ses enjeux sur le rapport entre Megane et le prêtre dans une confrontation en outre assez longue, tandis que De Martino sépare bien en autant de personnages distincts le psychiatre, le charlatan, le cardinal et l’exorciste et ne fait intervenir ce dernier que pour un final résolutoire comme un deus ex machina (ce qui est bien le moins, vu le sujet). Moins ambigu, le jeu est sans doute plus clair pour le spectateur.

De Martino n’y va donc pas par quatre chemin : Ippolita a des dons de médiums et finira par faire voler meubles ou elle-même, en prenant une voix masculine quand elle ne vomit pas une bile bien verdâtre (que, précédant la tendance émétophile contemporaine, elle fera lécher à un charlatan).

Une très belle séquence onirique nous fera revivre une vie antérieure où son ancêtre s’adonne à un sabbat superbement filmé, un des hauts fait de ce métrage… et l’occasion de l’épicer d’un peu de nudité au parfum de souffre. Le résultat n’est pas sans évoquer les BD pockets éditées jadis par Elvifrance.

Pour le reste, la réalisation fourmille d’idées, telle l’utilisation du Colysée (haut lieu de la persécution des premiers chrétiens et pour laquelle les escaliers renverront au final de L’EXORCISTE). Les effets spéciaux, s’ils ont relativement mal vieilli, ont dû se révéler parfaitement fonctionnels à l’époque.

Si on devait chicaner d’un autre léger reproche, c’est sans doute pour pointer que l’Antéchrist promis par le titre reste un enjeu somme toute assez mineur du scénario. A ce titre, le titre de reprise, LE BAISER DE SATAN, renvoyant au Sabbat comme point de bascule, nous semble plus pertinent.

En France, L’ANTÉCHRIST est sorti en salle le 11 juin 1975, et sera réexploité quelques années plus tard, peut-être sous le titre LE BAISER DE SATAN. Il sera ensuite régulièrement édité en cassette vidéo. Il entrera ensuite en léthargie à la mort de ce support et il faudra attendre 2016 pour que l’inestimable « Le Chat qui fume » l’exhume dans une édition nourrie d’un bel appareil critique et qui en restaurera, pour la première fois en France, le montage complet.

Une réédition d’autant plus pertinente que l’Amérique, en proie depuis pas mal de temps déjà, à un retour du religieux, a relancé nombre de productions traitant de cas de possession, dont certaines appuient bien le côté religieux. Qu’en dire si ce n’est que, sous réserve des effets du temps pour certains aspects (effets spéciaux ou caractérisation de protagonistes), L’ANTÉCHRIST à quarante ans passés continue de leur tenir la dragée haute ! Qu’attendez-vous pour le redécouvrir ?






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Article rédigé par : Philippe Delvaux

Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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