Les Abominables
Les détectives de l’occulte au féminin ne sont pas si nombreuses : citons la Shiela Crerar de Ella Scrymsour (dont on peut lire deux enquêtes dans les passionnantes anthologies de François Ducos chez Terre de Brume). N’oublions pas non plus la Stella Holmes italienne créée par Luigi Cozzi pour le fumetto Profondo Rosso (un personnage différent de son homonyme de CONTAGION !).
Et il y a, évidemment et sur le versant français d’un sous-genre trop accaparé par les anglo-saxons, la belle Rosamond Lew, dont on put suivre les aventures à travers une demi-douzaine d’Angoisses relevant souvent du fantastique expliqué.
Seule concurrente de Teddy Verano au Fleuve Noir, Rosamond Lew était une sorte d’Emma Peel projetée dans l’épouvante policière. Sexy et moderne (sans jamais répondre au cliché machiste de la fille facile), pur archétype de la jeune femme libérée post-révolution sexuelle, Rosamond, pourtant hyper féminine, était aussi habile au colt qu’au judo.
Elle se décrit en ces termes dans LES ABOMINABLES :
P. 38 : « Il ya des choses que je sais faire (…) Dans certaines circonstances, j’agis presque automatiquement. Ce ne sont que des réflexes conditionnés. »
Et, plus loin, P. 48 :
« Je tiens souvent un emploi de paratonnerre. Je suis une secrétaire à tout faire, y compris le maniement d’armes et le close-combat. Et je présente l’avantage sur un gorille que ma morphologie est différente et que l’on ne se méfie pas de moi ».
Tout est dit ! Rosamond est à l’épouvante ce qu’est Modesty Blaise à l’espionnage, en plus léger – ce qui nous fait regretter que son père littéraire, Dominique Arly , n’ait pas oeuvré aussi dans ce genre-roi du Fleuve Noir où il aurait pu créer un agent-secret en mini-jupe bien différent des Coplan et OSS 117.
L’enthousiasmant Dominique Arly faisait, certes, dans l’horreur sexy, voire érotique (dans LES ABOMINABLES, Rosamond est courtisée par une charmante lesbienne et manque d’être violée par des malfrats (qu’elle bute sans problème) et… par un Yéti !), mais avec bien souvent une vraie compréhension de l’esprit féminin et une absence totale de misogynie, ce qui faisait du bien alors.
LES ABOMINABLES démarre comme un roman d’espionnage mené à 200 à l’heure avec un prince héritier du Bouthan menacé de mort et Rosamond qui fait le coup de poing pour lui sauver la mise (P.30 : « En apercevant la voiture, j’avais réagi avec la promptitude d’un héros de westen. Instantanément (…) j’avais saisi mon automatique. » Tout Rosamond Lew en deux phrases !). Puis, expédition au Bouthan à la recherche de l’abominable homme des neiges et délire cryptozoologique et S.F jusqu’au bout (on en apprend davantage ici sur l’origine extra-terrestre de l’humanité). Un mélange des genres assez déroutant mais efficace même si la seconde intrigue prend totalement le dessus sur la première.
Arly allait rarement aussi loin dans le fantastique.
Le yéti, qu’on a pu voir aussi dans un grand Bob Morane, LES DENTS DU TIGRE, ou dans un Jimmy Gieu comme CREATURES DES NEIGES, est un formidable monstre pour la littérature populaire :
« Ma poitrine était nue et le yéti eut un râle d‘affreuse convoitise. Il reniflait à grands coups. Je me débattis avec rage, mais je ne pus lui échapper ni ramener sur moi mes vêtements » (P.195)
Voilà qui n’arrive pas tous les jours à Morane ou à Martin Mystère ! Rosamond, jamais effrayée par les bandits humains en sera quitte pour une belle frousse, heureusement délivrée par… une femelle yéti jalouse ! Beaucoup d’humour chez Arly, aussi.
De plus, Dominique Arly peut aussi être considéré comme un véritable précurseur de la Bit-lit (femme forte et aventures fantastico-sensuelles, narrées à la première personne…), un genre aujourd’hui à la mode qui nous est venu d’Amérique… 30 ans après.