Sueurs Froides en version papier

Au sommaire du numéro 37 : Dossier Val Lewton, Nancy Drew, Biographie de Ulli Lommel, la saga Flower and Snake, la franchise Leprechaun, entretien avec Patrice Herr Sang, Entretien avec Marian Dora.
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Espagne - 2011 - Alex de la Iglesia
Titres alternatifs : As luck would have it, La chispa de la vida
Interprètes : Salma Hayek, José Mota, Santiago Segura, Carolina Bang, Nacho Vigalondo, Blanca Portillo, Guillermo Toledo, Nerea Camacho, Fernando Tejero

Un texte signé Philippe Delvaux

Un jour de chance – La chispa de la vida – As luck would have it

Roberto, ancien golden boy de la publicité est au bout du rouleau. Au chômage depuis deux ans, il a épuisé toutes ses réserves financières et ne peut plus subvenir aux besoins du ménage. Il s’épuise dans de stériles entretiens d’embauche. Sa femme Luisa le soutient de tout son amour. Après un nouvel entretien raté auprès de son ancien employeur et ancien ami, Roberto sur un coup de tête décide de revoir l’hôtel où il passa jadis sa lune de miel. Mais l’hôtel, qui recouvrait d’anciennes ruines d’un théâtre, a fait place à un musée archéologique sur le point d’être inauguré. Roberto s’introduit néanmoins sur le chantier non parfaitement finalisé du musée et fait une grave chute qui l’immobilise, une barre de fer lui perçant la tête. Tout mouvement risque de lui être fatal. Tout près de là, les journalistes sont sur le point de découvrir ce nouveau musée. Roberto pourrait transformer son accident en opportunité…

Entre le Brussels International Fantastic Film Festival (BIFFF), qui programmait Un jour de chance pour sa trentième édition, et Alex de la Iglesia, c’est une longue histoire d’amour. Le festival a révélé le réalisateur dès ACCION MUTANTE et l’a ensuite régulièrement suivi, sacrant LE JOUR DE LA BETE (EL DIA DE LA BESTIA, 1996) du Grand prix et offrant à BALLADA TRISTE DE TROMPETTA l’ouverture de l’édition 2011. Un an à peine après ce chef d’œuvre, voici déjà le réalisateur espagnol de retour avec UN JOUR DE CHANCE, titre français de LA CHISPA DE LA VIDA. Après une première présentation française en début d’année, le film était à nouveau présenté lors de l’édition 2012 de l’Etrange Festival. Il sortira en France à la fin de l’année.

Et quel film ! Depuis BALLADA TRISTE DE TROMPETTA, Alex de la Iglesia n’a jamais été aussi mûr dans son art. C’en est fini des films potaches à la ACCION MUTANTE ou LE JOUR DE LA BETE, maintenant, Alex de la Iglesia peut pleinement prétendre au titre d’Auteur.

Panem et circenses. Du pain et des jeux. La métaphore est limpide. En situant l’action dans un ancien théâtre romain, De la Iglesia nous livre la clé de lecture de son film. A l’instar des jeux du cirque, nos contemporains se délectent des souffrances d’autrui, voire de leur mort. Soit que celles-ci servent leurs intérêts, soit qu’elles se vendent médiatiquement. L’attrait du malheur des uns [les jeux] permet aux autres de vendre des espaces publicitaires, de faire du placement de produit [le pain].

Mais ce qui ancre Un jour de chance dans notre époque, c’est que Roberto en est pleinement conscient, et que de surcroit il en accepte les règles. Il veut vendre son martyre et en orchestre donc la mise en scène. Roberto est aliéné par la misère qui le guette, par le rejet du monde du travail… et Roberto est un ancien publicitaire. La critique est acerbe : en nous poussant hors du système du travail tout en nous définissant par ce même travail et par l’aisance financière qui l’accompagne, notre société nous désespère au point de nous rendre prêts à nous vendre, corps et âmes, pour un peu de bien-être et un peu de considération.

« Plaie d’argent n’est pas mortelle » dit le dicton. Roberto n’est pas d’accord. Ses motivations ne sont cependant pas vraiment la cupidité, bien qu’il veuille tirer le maximum de son accident, mais bien plutôt le besoin de sécurité qu’offre le confort financier. En outre, Roberto agit aussi par amour pour sa famille, sa femme et ses deux enfants, sans voir que Luisa s’accommode bien mieux que lui de cette mauvaise passe financière.

Cloué au sol par une barre de fer lui transperçant la nuque, le supplice de Roberto s’apparente à une parabole christique – ce qui sonne ironique de la part du réalisateur d’EL DIA DE LA BESTIA -. Son martyre, s’il n’est pas offert pour la rédemption des hommes, ni même pour la sienne propre, sera cependant l’occasion pour quelques-uns de retrouver leur humanité, dévoyée par la société contemporaine : la conservatrice du musée, une journaliste… Mais Roberto est un christ aliéné, la sainteté – ou plus exactement la véritable humanité – vient de Luisa qui, telle Marie-Madeleine, assiste au supplice non de son fils, mais de son mari. C’est elle qui d’entre tous garde en permanence conscience que la vie d’un être humain est en jeu et qu’aucunes considérations politiques, patrimoniales ou bassement vénales ne peuvent inférer dans le processus de sauvetage.

La mise en scène s’articule naturellement autour de Roberto, mais fait intervenir nombre de personnages : le maire qui venait inaugurer le musée et qui doit maintenant gérer ce drame. Celui là pense avant toute chose à ne pas mettre sa carrière en danger, sans guère se soucier de Roberto qui n’est pour lui qu’une source d’ennuis ; La conservatrice du musée, réticente à l’idée d’abimer ses vieilles pierres pour sauver un homme ; l’ancien employeur de Roberto, qui vient de l’éconduire sans ménagement et craint que l’opinion publique prenant l’accident pour un suicide ne l’en blâme ; l’agent de représentation aux doigts crochus, qui ne voit que l’intérêt financier à tirer de l’affaire, quitte à spéculer sur le décès de son client ; les médias qui font leur miel de ces faits divers, tout en négociant âprement leur « valeur » monétaire ; les journalistes qui oublient tout respect ou pudeur dans leur course à l’audience ; le public enfin qui, même s’il éprouve de la compassion, n’en vient pas moins se repaître du spectacle. Ce théâtre est donc surtout celui de la bassesse.

Alex de la Iglesia a retrouvé la formule magique du cinéma européen populaire d’auteur, qui semblait perdue depuis des lustres. Soit un cinéma qui arrive à concilier trois éléments : distraire son public, intégrer le film au monde de son réalisateur et enfin délivrer un message.

Le réalisateur est cinéphile. UN JOUR DE CHANCE s’offre comme une nouvelle déclinaison du GOUFFRE DES CHIMERES (Billy Wilder) qui voyait un journaliste repousser le sauvetage d’un homme pour en prolonger la couverture médiatique. Saut qu’ici, c’est la victime elle-même, ironiquement auteur du slogan publicitaire « Le peps de la vie », qui prolonge sa souffrance pour mieux la vendre.

Avant que le scénario n’arrive entre ses mains, le projet à tenté de se monter aux Etats-Unis et s’y est logiquement brisé les reins. Verrait-on Hollywood financer un film critiquant ouvertement le placement de produit ? Verrait-on le pays qui a créé la téléréalité produire une œuvre qui dénonce avec véhémence la marchandisation de l’humain ?

UN JOUR DE CHANCE arrive à combiner le rire grinçant à l’émotion la plus pure avec un rare bonheur, l’un et l’autre cohabitant souvent au cœur de la même scène.

Un film qui a du cœur et des tripes, qui parle de notre époque, de ses dysfonctionnements, UN JOUR DE CHANCE est une œuvre essentielle de 2012.

Retrouvez nos chroniques du BIFFF 2012.

Retrouvez notre couverture de l’Etrange Festival 2012.



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Article rédigé par : Philippe Delvaux

Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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