Veerana
Nakita, une sorcière, passe son temps à séduire les hommes qui ont la malchance de croiser son chemin, et les tue ensuite. Avec l’aide du prêtre Baba et des adeptes de Mahakal, une déité malveillante, elle terrorise ainsi les habitants d’un petit village indien. Ceux-ci demandent l’aide de l’homme riche du village, Thakur Mahendra Pratap. Son frère Sameer trouve la sorcière, et la livre à la justice du peuple, qui la brûle vive. Pour venger sa compagne, Baba capture Sameer, qui est alors cru mort par sa famille, et enferme l’esprit de Nakita dans le corps de Jasmin, la fille de Thakur. Baba sait que, le temps venu, il tuera Jasmin, et redonnera ainsi la vie à Nakita.
Si on veut parler du cinéma d’horreur bollywoodien, il faut parler des frères Ramsay, Shyam, Kumar, Keshu, Tulsi et Kiran. En effet, en Inde, le cinéma d’horreur doit son existence et sa popularité à une seule famille. Ainsi, VEERANA fut réalisé par Tulsi et Shyam Ramsay – qui participait aussi à l’écriture et au montage – tandis qu’un certain Gangu Ramsay se retrouvait derrière la caméra, et Kiran Ramsay était responsable du son. Anjali et Kanta Ramsay assumaient la production du film, et on passe sur les autres membres de la famille à des postes moins importants. Avec Shyam Ramsay à leur tête, ils ont réalisé plus d’une vingtaine de film depuis NAKULI SHAAN en 1971, et peuvent être considérés comme le Studio Hammer de Bollywood. En se concentrant dès le début sur le cinéma d’horreur – à quelques exceptions près –, les frères Ramsay ont aidé à établir et à définir le genre horrifique pour une majorité de la population indienne dans les années 70 et 80.
Au début des années 80, avec l’ascension du marché de la vidéo, les Frères Ramsay ont eu la possibilité de voir les films d’horreur occidentaux avec une aisance et une facilité d’accès impossibles auparavant. Ainsi, VEERANA fut assez librement inspiré de VAMPYRES (1974) de José Ramón Larraz, et est considéré par certains comme le meilleur film des frères Ramsay.
Ceux qui connaissent même un peu le cinéma bollywoodien savent qu’il y a deux choses à noter sur les films réalisés en Inde. Premièrement, tout film qui dure moins de deux heures est presque considéré comme un court-métrage. Il n’est pas rare pour un film indien d’excéder avec facilité les trois heures, et VEERANA, avec une durée de deux heures et demie, ne fait pas exception. Deuxièmement, on y chante, parfois beaucoup. Dans VEERANA, on n’y échappe pas, mais ces scènes musicales sont néanmoins réduites en nombre par rapport à un film de divertissement bollywoodien traditionnel.
Contrairement aux réalisateurs de films d’horreur occidentaux, les frères Ramsay ne peuvent pas éviter d’inclure de la comédie dans leurs œuvres. Ceci n’est pas forcément une mauvaise chose, comme peuvent en témoigner ceux qui se rappellent BRAINDEAD ou SHAUN OF THE DEAD. Le bât blesse par contre quand les deux éléments sont trop clairement séparés, et qu’on a l’impression de voir deux films différents. La question à se poser est donc: qu’en est-il de VEERANA ? Le film fonctionne bien, dans une veine plus proche des anciens Hammer que des slashers américains en vogue dans les années 80, quand l’histoire se concentre sur la possession de Jasmin par Nakita, et sur le combat des héros contre le mal. Le tout est interrompu par des scènes de chant et de danse d’un côté et des interludes comiques de l’autre côté. Malheureusement, ces éléments diminuent l’impact du film. Les chansons parlent uniquement de la recherche de l’amour, des sentiments et ressortent ainsi d’une façon inélégante par rapport à l’ensemble – au moins pour un public occidental. Shyam et Tulsi ont aussi inclus un personnage soi-disant drôle avec Hitchcock, réalisateur se prétendant connaisseur de film, ce qui donne aux frères réalisateurs l’occasion de faire quelques références sur leur propre métier. Ces éléments de comédie néanmoins, on peut s’en douter, ne sont pas à voir comme des défauts, mais plutôt comme une convention du cinéma local à respecter si on veut attirer un public payant.
S’il ne faut donc pas s’attendre à un film d’horreur typique, ni à une oeuvre vraiment effrayante, la réalisation de Shyam et Tulsi Ramsay est solide, bien qu’un peu classique. Ceci, néanmoins, renforce l’impression qu’on a de voir un film des années 70, et constitue une partie du charme de cette oeuvre.
De son côté, le jeu des acteurs est fort dans l’ensemble, et il n’y a pas d’élément faible dans le groupe, avec une mention spéciale pour les yeux pénétrants de Jasmin. Il faut toutefois accepter un style d’acteur plus théâtral que ce que l’on a l’habitude de voir. Etant donné qu’on se trouve dans un film bollywoodien, et que les acteurs sont aussi chanteurs et danseurs, il faut voir ceci moins comme une faille, mais plutôt comme un élément contribuant au charme et à l’exotisme de l’ensemble.
Il faut donc être clair, VEERANA possède quelques éléments d’horreur assez impressionnants, mais dans l’ensemble, le film ne fera pas – ou au moins plus – peur à un public occidental contemporain habitué à du plus fort. On a à faire à un amalgame de genres, de l’horreur à la comédie, en passant par le film musical. Quand finalement, comme cerise sur le gâteau, on nous offre en plus des scènes d’action horriblement chorégraphiées et sonorisées, on se rapproche d’un cinéma turc parfois aussi étrange à nos yeux. En fin de compte, VEERANA est un témoignage kitsch à souhait, parfois hilarant, parfois surprenant, d’une autre culture et d’une autre époque. Ni plus, ni moins. Et parfois, ça fait quand même plaisir.