Il est de retour
IL EST DE RETOUR est l’un des best-sellers du moment, en particulier en Allemagne. L’auteur, Timur Vermes, un Allemand d’origine hongroise au père juif sonne comme une justification à ce roman mettant en scène Adolf Hitler. Parce qu’il faut bien le dire, tout ce qui peut toucher à Hitler est scruté avec suspicion. Ce monstre, ce croque-mitaine universel déclenche tous les rejets, toutes les vindictes. Il n’est pas politiquement correct de parler d’Adolf Hitler alors qu’a donc en tête l’auteur ?
L’action se déroule dans les années 2010, à Berlin. Le Führer se réveille dans un terrain vague, en redingote militaire. Il se dirige vers un kiosque à journaux et comprend très vite qu’hier il était dans son bunker, sous les bombes, dans Berlin assiégée et qu’aujourd’hui il a fait un bond de près de 65 ans dans le futur. Loin d’être troublé, il ouvre grand les yeux et s’imprègne de ce nouveau monde qu’il découvre avec ravissement, dégoût, avidité et aigreur. Alors que ses contemporains le voient comme un imitateur à l’immense talent, lui jette ses pensées comme des cartouches acides à la face du monde. En effet, il est tellement crédible dans le rôle du Führer, tellement incisif dans ses jugements de la société du XXIe siècle qu’il emballe sans coup férir les foules avides de second degré et de critiques acerbes. Les producteurs d’une chaîne de télévision imaginent lui offrir un spectacle croustillant dans un talk-show faussement provocateur alors qu’ils lui déroulent en réalité une nouvelle tribune. Ses idées politiques dépassent la fiction. Tel un parasite tentaculaire, il s’invite partout, envahit la toile et les réseaux sociaux.
Ce qui est intéressant avec IL EST DE RETOUR, c’est que nous voyons comment une société moderne peut être emballée par quelque chose, une personnalité, un propos. L’auteur décrit comment l’information peut être donnée, appropriée, véhiculée. Et même si nous vivons tous les jours dedans, cette frénésie de l’information, en tant que consommateur ou simple spectateur, c’est malgré tout intéressant de nous le rappeler. Cette diffusion des informations, ses méandres et aboutissements, est toute à la fois fascinante et terrifiante.
Timur Vermes ne se positionne pas en tant que donneur de leçons. Il ne lance pas de critiques au vitriol de notre société. Il ne déclare pas, sans ambiguïté aucune, que notre société est manipulable et que ce qui s’est passé en 1933 avec l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler peut se reproduire… mais il ne prétend pas l’inverse non plus. En effet, les idées d’Hitler trouvent un écho chez certaines personnes, ce qui est logique bien sûr. Il n’est pas combattu bec et ongle car de toute façon, tous croient à une parodie. L’auteur tente de donner des pistes sur comment et pourquoi on a pu suivre Adolf Hitler et comment et pourquoi il n’est pas exclu, extravagant, impossible, que cela ne se reproduise pas à l’avenir.
Toutes ces réflexions politico-philosophiques sont mises en scène de manière pour le moins efficace. Parfois, elles sont mêmes vraiment très drôles. Il est certain que le style, ou en tout cas la traduction française, coule parfaitement. Le roman de Timur Vermes se lit en très peu de temps, non pas parce qu’il est avare en pages mais parce qu’il emporte très facilement et naturellement le lecteur dans sa ronde.
Mais surtout, il est indéniable que l’emploi ici d’un procédé littéraire bien connu flirte avec le génie. L’auteur utilise en effet la narration à la première personne du singulier. Cela veut dire qu’Adolf Hitler dit « je » et que, par voie de conséquence, le lecteur aussi ! Le malheureux lecteur est plongé dans la peau du personnage principal. Parfois, au fil de ses lectures vagabondes, cela ne lui plaît que moyennement tant le personnage est à mille lieux du « moi » du lecteur et tant le héros agit de manière incongrue voire contraire à ce que le lecteur-otage ferait. Mais là, on atteint d’autres sommets. Il s’agit d’être dans la peau de « l’ennemi public numéro 1 » et non pas de sa génération, de son pays ou même de son continent mais « du siècle » ! L’effet est saisissant, le lecteur est comme prisonnier de la tête de son pire ennemi, subissant comme siennes des pensées qui étaient celles d’Adolf Hitler. C’est un procédé intéressant, une distorsion pleine de saveur de l’emploi de la narration à la première personne.
Et dans le domaine artistique, la couverture, cette chevelure stylisée noire sur page blanche et le titre en moustache, est très bien trouvée, très visuelle, très percutante… Il s’agit là d’un beau travail de marketing, efficace et prometteur. Etait-ce là le slogan du livre ou le lecteur a raison d’y voir autre chose et de faire de cet ouvrage l’une des meilleures ventes littéraires de ce milieu des années 2010.