Kaïro
Taguchi, un jeune informaticien, se pend dans son appartement sous les yeux de l’une de ses collègues et amie. Cette dernière profondément choquée par l’acte inexpliqué tente de comprendre. Sans le savoir, elle transmet via une disquette l’étrange virus qui s’empare alors de la ville entière. La capitale nippone est rapidement prise d’assaut par ce virus informatique qui pousse les gens à se suicider tandis que des fantômes apparaissent de plus en plus.
Kiyoshi Kurosawa, cinéaste japonais obsédé par les fantômes et le rapport qu’ont les vivants avec ceux-ci, s’attaque au film d’horreur. A sa manière, il plonge la ville entière et le spectateur avec elle dans l’horreur. En lieu et place du fantôme vengeur, il s’agit plutôt ici d’une sorte de contamination silencieuse et invisible. Si elle a la forme d’un virus informatique implacable, en réalité, il s’agit ni plus ni moins qu’une invasion du monde des vivants par les morts. Ceux-ci parviennent étrangement à convaincre les vivants qu’ils sont déjà morts ou pas si différents des morts afin de les pousser au suicide.
En s’intéressant à plusieurs personnages au caractère et à l’histoire très différents, Kiyoshi Kurosawa montre au spectateur le côté implacable de cette contamination. Personne ne peut y résister, pas même ceux paraissant le plus vivant, ni même ceux se tenant éloignés des ordinateurs. Tout le monde finira par rejoindre le monde des morts. Que ce soit par l’acte de mettre fin à ses jours ou par une simple acceptation de la mort se soldant par une disparition. Celle-ci donne lieu à une sorte de poudre noire qui tâche les murs comme certaines apparitions de fantômes qu’on a pu voir dans la réalité. Mais cette même poudre finit par se volatiliser dans les airs, et par former des nuages sombres dans le ciel, à teinter la réalité de gris.
La couleur quasiment absente du film mise à part de la couleur décolorée des cheveux d’un des personnages et de la veste rouge de l’héroïne, démontre d’ailleurs à quel point le monde des vivants n’est pas très différent de celui des morts. La métaphore est d’ailleurs évidente. Dans l’univers japonais où la solitude devient un poids pour chacun et où le suicide devient la seule réponse possible, Kiyoshi Kurosawa dépeint une société qui s’enfonce dans la dépression, dans le silence et l’angoisse de continuer. D’ailleurs les personnages le disent eux-mêmes, continuer est plus difficile que renoncer. Le film ne parle d’ailleurs que de ça, du sentiment de solitude, et du suicide qui l’accompagne.
Mais c’est également un film d’horreur parmi les plus angoissants sans pour autant verser une seule goutte de sang. Les balles ne semblent même pas frapper leur victime. La mort englobe les personnages avant même que leurs cadavres n’aient le temps d’être atteint de rigidité. Certains deviennent des fantômes sans même qu’on les voie se mettre à mort. S’il y a une forme de poésie morbide, il y a aussi une terreur palpable. Le scotch rouge scellant les portes et les fenêtres, comme les suicides apparaissant en arrière plan, comme s’ils faisaient partie du décor, ou un avion en flamme, jusqu’aux esprits dont certaines apparitions sont parmi les plus effrayantes qu’il soit, sont autant d’éléments qui font naître la terreur sans pour autant user des ficelles habituelles.
On pourra reprocher une certaine longueur du film, 2h10 c’est assez long, et quelques répétitions dans la construction du récit, mais tout ceci participe sans nul doute à l’atmosphère délétère. C’est aussi et surtout dû au fait que Kiyoshi Kurosawa veille à la fois à faire peur et à la fois parler du délitement de la société japonaise. Hésitant entre la pesanteur dépressive de la disparition pure et simple de cette société et l’horreur qui nécessite plus de présence à l’écran, plus de tangibilité, le film oscille sans cesse entre les deux, même si, au final, l’aspect éthéré l’emporte.