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Troisième long métrage américain de Joseph Losey, Le Rôdeur emprunte au film noir pour observer les défaillances de la société américaine.
Susan Gilvray, l’épouse d’un célèbre animateur radio, croit voir un rôdeur à sa fenêtre. Elle appelle la police qui lui envoie deux policiers. L’un d’eux, Webb, tombe sous le charme de la jeune femme et revient la voir, soi-disant pour s’assurer qu’elle va bien. À force de la visiter, de lui témoigner de l’intérêt, il finit par la faire céder à ses avances. Seulement, le policier a des idées en tête et ne compte pas se contenter du simple rôle d’amant !


Perversité et voyeurisme
Sous ses aspects de film noir, Le Rôdeur se montre bien plus subversif qu’il n’y paraît. La menace ne vient pas d’un éventuel rôdeur, pervers qui se cacherait sous les fenêtres d’une femme dans les beaux quartiers, mais d’un policier ayant l’air charmant et avenant. Plus encore, on apprend au cours du film qu’il aurait pu devenir un champion de base-ball, sport iconique aux états unis. La menace vient donc de l’intérieur, d’une figure d’autorité et d’une personne au-dessus de tout soupçon.
Lorsque survient une scène de procès, où le représentant de l’ordre est mis en cause, il est impossible de ne pas songer à des affaires récentes dans lesquelles des policiers accusés de bavures se sont vus relâchés. Plus encore à cette époque, on devine que l’agent ne risque rien, qu’il peut agir comme il lui plait. Dans la même veine, la scène où il embrasse de force Susan chez elle est glaçante, car on devine alors qu’elle ne peut même pas appeler la police à l’aide ! Si on n’a pas cru à l’existence du Rôdeur, croira-t-on à sa version ou à celle du policier ?
Alors qu’on pensait avoir cerné l’intrigue et les personnages, le film ne cesse de jouer avec nos nerfs et ceux des protagonistes. Il y a une phase assez comparable à Soupçon de Alfred Hitchcock puis une course poursuite déchirante à la fin, le scénario finement écrit par Dalton Trumpo (Spartacus, Exodus, Roman Holiday) ne cesse de nous surprendre et de jouer avec les certitudes du public. Il réussit même le tour de force de rendre ses personnages les plus vicieux attachants, même quand ils s’apprêtent à commettre l’irréparable.

Un casting cinq étoiles
Bien sûr il faut aussi saluer le jeu des acteurs ! Van Heflin prêtre sa mâchoire carrée et ses joues un peu gonflées de chérubin au personnage de Webb. Immédiatement, il nous le montre comme opportuniste, sans morale ni limites, mais peu à peu, il offre des nuances à son personnage. Accompagné de la mise en scène et des décors soignés qui vont mettre en opposition la villa des Gilvray et la chambre misérable de Webb, avec sa posture qui peu à peu s’accable avec le poids de ses erreurs, il finit par dévoiler ce qu’il est : un simple humain avec ses faiblesses, ses fragilités.
Face à lui, Evelyn Keyes, réputée pour son rôle de Suellen dans le film Autant en Emporte le Vent aborde ici des cheveux blond platine, un air digne de femme mariée, mais assez vite, elle dévoile d’autres nuances. Tantôt victime innocente, tantôt complice, on ne sait jamais sur quel pied danser, s’il faut avoir peur d’elle ou pour elle. C’est toute la versatilité et la complexité de ses personnages qui rend le métrage passionnant à suivre.


Une critique de l’Amérique
Mais aussi ce qu’il montre de l’Amérique. Bien sûr, il y a le contraste entre l’univers hollywoodien représenté par Susan et le monde chiche du prolétariat qu’incarne Webb. Son père était ouvrier, lui-même a l’espoir de s’élever, d’abord à travers le sport, puis la police, mais ses espoirs sont sans cesse déçus. Il déteste son boulot, il abhorre la pauvreté. À travers lui, néanmoins, on découvre une ville abandonnée dans le désert, un motel qu’il estime charmant et pourtant adjoint à une autoroute où le passage des voitures fait presque trembler les murs. Il est évident que ces deux mondes ne peuvent se rencontrer et donc que l’union de Susan et Webb est vouée à l’échec.
Ce qui est d’autant plus fascinant dans ce film, c’est que sa portée sociale est renforcée par le fait que quasiment tous ses auteurs ont été chassés d’Hollywood par le Maccarthysme. D’abord, son scénariste Dalton Trumbo est retiré du générique, son nom est remplacé par Hugo Butler, son ami, lui aussi scénariste qui est à son tour ciblé par la chasse aux communistes menée par la commission des activités antiaméricaines. En 1952, soit un an après la sortie du film, c’est le réalisateur Joseph Losey qui est interpellé. Ce dernier étant alors en Italie pour Un homme à Détruire choisit de rester en Europe. Son inclination politique le privera de tournages avec des stars hollywoodiennes comme Dean Jagger qui refuse de travailler avec lui. Malgré tout, il connaitra une belle carrière dont on retient surtout Le Servant, Monsieur Klein et L’assassinat de Trotsky.
TEST DU BLU-RAY/DVD
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Éléphant Film poursuit son travail de restauration et de ressortie de films noirs avec Le Rôdeur de Joseph Losey. Moins connu que ses longs-métrages de sa période européenne (Le Servant, Accident, Le Messager ou encore Monsieur Klein), il n'en demeure pas moins fascinant. Tout d'abord, car il s'agit d'un scénario de Dalton Trumbo, probablement l'un de ses derniers tournés, car il a été retiré du générique lors de la sortie du film en salle. Ensuite, parce qu'on devine déjà tout le talent de mise en scène et l'audace de la caméra de Losey qui, glisse dans les couloirs, laisse à ses acteurs le soin de dérouler leur scène et leur geste, pour les isoler dans des cadres soignés. La restauration : L'image en noir et blanc est somptueuse, à la fois restaurée, mais en respectant ses noirs et ses contrastes. Il est bon de le souligner, car certaines restaurations tendant à aplatir l'image ou à la lisser. Ce n'est pas le cas ici. Le son, quant à lui, est de qualité, étant ni granuleuse ni saturée. Un beau coffret : Éléphant le propose en combo Bluray et DVD, on peut y retrouver en suppléments Stephen Sarrazin, la Bande annonce d'époque et une Jaquette réversible. On pourrait regretter que les bonus soient si peu nombreux, néanmoins, ils offrent déjà un éclairage sur le film. => Achetez chez notre partenaire Metaluna=> Spécificités du DVD/Bluray sur le site de Sin'Art |
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Article rédigé par Sophie Schweitzer
Ses films préférés - Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà - Ses auteurs préférés - Oscar Wilde, Sheridan LeFanu, Richard Mattheson, Stephen King et Poppy Z Brite


