Les bébêtes dans La Tête de Normande St-Onge
Se pourrait-il que la tête de Normande St-Onge ait des ratés ? On peut se poser la question tant la jeune femme, parce qu’elle est pétrie de valeurs humaines, fait tache au coeur de ces années 70 où, au Québec comme ailleurs, tout le monde n’a à l’esprit que consommer et s’amuser…
Valeurs vs futilité
Sa mère sombre dans la démence. Plutôt que de la laisser à l’hôpital public, Normande souhaite la garder à la maison.
Sa petite sœur n’en fait qu’à sa tête et dépense sans compter. Plutôt que de la laisser dans la rue, Normande veille sur elle.
Son compagnon est un goujat incapable de se rappeler l’anniversaire de Normande. Plutôt que de le jeter à la porte, elle le laisse traîner ses guêtres dans l’appartement sans rien faire, même pas la vaisselle.
Normande rêve d’une famille soudée. Elle aimerait même avoir un enfant…
Normande rencontre un type prodigieusement mignon, doté d’une grande sensibilité, presque féminine… Malheureusement, il n’a pas l’air très stable psychologiquement. Son rêve : devenir magicien. Ce n’est qu’un rêveur… Normande, quant à elle, est une femme qui a les pieds sur terre.
Futilité vs Normande
Les femmes que Normande rencontre, jalouses de sa beauté, n’ont d’autre choix que de se faire refaire le nez.
Normande, elle, elle est authentique et déborde de générosité. S’il faut poser nue pour les besoins de son voisin sculpteur, pas de problème !
Normande a le coeur sur la main. Ce qu’elle souhaite, par-dessus tout, c’est le bonheur de ceux qui l’entourent.
Mais dans une société individualiste où priment la consommation et le plaisir immédiat, c’est déplacé.
Normande s’obstine malgré tout, même lorsque ses proches lui conseillent de faire attention… D’ailleurs, le voisin du dessous ne l’envie pas à cause de toutes les “bébêtes qu’elle a dans la caboche”…
Ils la prennent pour une bêtasse alors que c’est une belle personne.
Une icône pour une altruiste
Normande, c’est Carole Laure, une actrice que le grand public français apprécie et connaît bien. D’abord parce que la Québécoise a poussé la chansonnette dans les années 80. Les cinéphiles, quant à eux, l’ont remarquée dès les années 70 en raison de ses prises de risque cinématographiques. En effet, l’actrice ne rechigne pas devant les scènes difficiles. Respect ! Ceux qui ont vu Sweet Movie savent de quoi il est question ici ; il est en effet peu probable qu’ils aient oublié la scène du bain au chocolat…
À l’occasion de la Tête de Normande St Onge, Carole Laure est dirigée par Gilles Carle, l’un des plus importants metteurs en scène québécois. Le réalisateur a commencé sa carrière avec des films non conformistes avant de passer plus tard à un cinéma plus désenchanté mettant en scène plusieurs fois Carole Laure, justement.
La Tête de Normande St Onge ne propose pas d’intrigue complexe, des rebondissements ébouriffants, ni même de décors et paysages phénoménaux. Tout se déroule, peu ou prou, entre quatre murs. Même quand Normande rend visite à ses voisins, on a l’impression qu’elle n’a pas changé d’appartement.
Cette exiguïté sert le film qui s’intéresse au quotidien de nos vies dont l’ineptie est portée par les discours absurdes débités par les proches de Normande, morceaux choisis :
– L’argent et les vêtements devraient appartenir à tout le monde.
– Oui mais tout le monde n’a pas la même taille…
Je lui laisse me laver la tête, je lui laisse m’apporter ma boisson. Et elle ne fait jamais rien pour moi.
Un érotisme manifeste
Les relations que Normande entretient avec sa mère sont révélatrices. Rejetée par sa mère qui lui préfère ostensiblement sa sœur, Normande a développé un troublant besoin d’affection et d’amour. L’injonction est singulièrement manifeste durant cette séquence où Normande et sa sœur consolent leur génitrice. Une scène anodine en apparence. Sauf que, entre toutes les séquences érotiques du film, l’épisode est filmé avec tant de sensualité que l’on peut aisément le hisser à la première place du podium.
Le film foisonne effectivement de moments joliment érotiques. Comme cet ébat torride auquel se livrent Carole Laure et son compagnon Raymond Cloutier. Une scène surprenante par son intensité, à la limite de la pornographie. Si c’était osé pour l’époque, ça l’est toujours aujourd’hui.
Mais ce n’est pas tout, car le film de Gilles Carle contient également deux scènes où Carole Laure danse lascivement, nue, simplement recouverte d’une fine couche de poudre d’or… En cas de sobriété énergétique, La Tête de Normande St Onge est assurément un film à regarder l’hiver pour faire des économies de chauffage.
Cela étant dit, La Tête de Normande St Onge n’est pas seulement un bonheur pour les yeux en raison de la présence de Carole Laure à l’écran. La photographie superbe propose des plans construits comme des tableaux de peintures. Un esthétisme qui atténue quelque peu la grande détresse ressentie à la vision d’un film atypique et authentique.