Milano Sanguina – Julien Caldironi – Polar gore
La collection Karnage a pris, depuis quelques années, la succession de la mythique Gore (et de la plus récente mais hélas défunte Trash). Au rythme d’une sortie par semestre, elle compte déjà neuf romans. Ils explorent tous la littérature d’horreur et d’exploitation au sens large et répondent au cahier-décharge attendu: scènes sanglantes, action, sexe gratuit, etc. Les auteurs y explorent les différents sous-genres cinématographiques en les revisitant par le biais de la littérature “pulp”. Cela permet de varier les plaisirs, du giallo au torture porn en passant par la science-fiction horrifique, le slasher, le polar burné, l’agression animale, etc.
Les auteurs se montrent donc plus diversifiés que leurs ancêtres de chez Gore. Le ton se montre également différent, moins porté sur la gaudriole grand-guignolesque à la Eric Vertueil. Les romans se veulent davantage des hommages à une période bien précise du cinéma bis, entre le début des années ’70 et le milieu des années ’80 principalement.
Ici nous plongeons dans le poliziesco, autrement dit le polar d’action à l’italienne, musclé à souhait. Dans ces longs-métrages carrés un flic intègre à la gâchette facile se heurte à la corruption de la société, à la collusion entre les criminels et les notables et au statisme d’une hiérarchie préoccupée de ne pas faire de vague.
Le genre connait son heure de gloire durant les “années de plomb”, essentiellement dans la première moitié des seventies, avec des œuvres rentre dedans signées Enzo Castellari, Sergio Martino, Umberto Lenzi, Fernando Di Leo, etc. Il perdure jusqu’au début des années 80, fusionnant parfois avec le giallo (LA LAME INFERNALE, MORT SUSPECTE D’UNE MINEUR, A TUTTE LE AUTO DELLA POLIZIA, etc.). Ces films reprennent, en les adaptant à l’Italie et au contexte violent des attentats à répétition, les procédés d’un INSPECTEUR HARRY ou d’UN JUSTICIER DANS LA VILLE.
Moustaches et grosses burnes
Bref, du nettoyage par le vide, effectué par un flic en bout de course dégouté de l’inaction de ses collègues. Du cinéma populaire sur lequel la critique d’époque porte un regard forcément écœuré en brandissant les traditionnels “facho”, “auto-justice pas bien”, etc. En France, Belmondo et Delon reprirent ensuite le flambeau en campant des flics justiciers en butte à des méchants de toutes sortes (de PEUR SUR LA VILLE à NE REVEILLEZ PAS UN FLIC QUI DORT). Il faudra attendre pour assister à une lente réhabilitation du poliezsco, à l’instar du western spagh’, du giallo ou du péplum fantastique.
Bref, l’auteur en ressuscite les grandes heures au travers de ce “Milano Sanguina” dont on imagine très bien le héros sous les traits (et la moustache) d’un Franco Nero, d’un Tomas Milian ou d’un Maurizio Merli. Le roman se situe d’ailleurs en plein dans les années ’70, comme un artefact en provenance de cette époque. Publié voici un demi-siècle il aurait surement trouvé un cinéaste pour l’adapter. Aujourd’hui on se contentera d’apprécier le roman, rondement mené, bien troussé et écrit avec une plume efficace, précise et évocatrice, sans verser dans le “littéraire” mais sans non plus tomber dans le bâclé. Bref une écriture efficace, à l’image du bouquin dans son ensemble, qui lance parfois quelques clins d’œil (“le corps présente des traces de violences charnelles”) sans donner dans la parodie et lui préfère l’hommage respectueux.
Milan à mains armées
Notre flic, Morbidelli, enquête sur une affaire compliquée impliquant un mystérieux tueur d’enfants. En parallèle il se dépêtre avec un empoisonnement de jambon et des disparitions de prostituées. Dans la tradition du genre, Morbidelli fréquente d’ailleurs une fille de la nuit qu’il devra protéger durant les derniers chapitres. Evidemment, toutes ces affaires sont liées entre elles et l’auteur parvient à nouer les différents fils de son récit avec une belle maitrise. Les sous-intrigues se rejoignent ainsi lors d’un final bien trouvé teinté d’humour noir bienvenu.
Moins porté sur le gore et le sexe que les volumes précédents de la collection, “Milano Sanguina” joue davantage la corde du polar rentre-dedans. Certes, l’auteur ne se prive pas d’une poignée de passages saignants, impliquant notamment du cannibalisme, ou de moments chauds un brin gratuits (mais justifié par le côté “exploitation” assumé de la collection). On retrouve, dès lors, un petit côté littérature de gare des années ’80 pas désagréable, à l’époque où les couvertures attractives de “Brigade Mondaine”, “Police des mœurs” ou “Flics de choc” attiraient le chaland pas encore les yeux rivés sur son téléphone.
“Milano Sanguina” démontre la vitalité de la collection Karnage. Moins extrême que “Sanctions”, moins second degré référentiel qu’un “Too dead for love”, le roman pourrait même attirer un public plus large, celui amateur de roman policier bien vénères et rageurs. Conseillé !