Fata Morgana – Vicente Aranda (1966) – thriller expérimental
En 1966, Vicente Aranda, pour contourner la censure franquiste, signe Fata Morgana, un film surréaliste à la modernité frappante qui va lancer un mouvement artistique dans le cinéma ibérique.
Fata Morgana nous propulse dans une ville ressemblant à Barcelone d’où les habitants semblent être partis précipitamment. Quelques récalcitrants résistent aux ordres d’évacuations. Parmi eux, Gim, une mannequin qui se sent pourchassée et observée. Son ami Le Professeur s’inquiète pour elle car un dangereux maniaque s’en prend aux belles femmes. Cette dernière décide donc de s’en remettre à lui pour survivre.
Du surréalisme au féminisme
Les longs plans suivant la silhouette de Gim déambulant dans les rues et étant prise à parti, draguée, appelée, suivie, reluquée par tous les hommes qu’elle croise frappe immédiatement le spectateur. Du propos du film sur le féminicide, de ce lien entre la masculinité et la violence envers les femmes inatteignables, hommes qui estiment que cette beauté les heurte, les blesse, est d’une vibrante modernité. Gim est sans cesse observée, sans cesse manipulée, physiquement comme moralement, par divers profils d’hommes. Tous ne sont pas menaçants, mais tous sont agaçants.
A cette première couche s’en ajoute une autre, celle d’une ville fantôme et pourtant assiégée. On croise un drôle de véhicule, tout gris métallisé qui déambule comme Gim dans les rues, il y a des hauts parleurs qui incitent les habitants à quitter la ville, et des jeunes hommes pourchassés, enfermés qui tentent soit d’appeler à l’aide quand ils croisent Gim soit de l’aider alors qu’eux-mêmes sont dans une situation plus périlleuse encore. C’est auprès d’eux finalement qu’elle trouve les meilleurs alliés. Si bien que le film semble faire coïncider le patriarcat et le fascisme, près de soixante ans avant les questionnements sociaux qui nous agitent.
Un cinéma avant-gardiste
Ce regard d’une modernité frappante, c’est celui de Vicente Aranda dont l’enfance a été marquée par la guerre civile espagnole. Plus tard, il ira s’installer au Venezuela pour ne plus craindre la répression franquiste. A ses 33 ans, il revient en Espagne avec l’intention de devenir cinéaste. N’ayant fait aucune école, il se lance dans son tout premier film en autodidacte. Malheureusement, celui-ci est censuré. Il se décide alors à en tourner un second, Fata Morgana auquel il ajoute suffisamment d’éléments surréalistes afin de rendre plus invisible le propos politique du métrage qui passe la censure et accède aux salles de cinéma.
Sans le savoir, Vicente vient d’ouvrir les portes du cinéma ibérique à de nombreux cinéastes frustrés. L’Ecole de Barcelone, un mouvement artistique aussi surnommé la nouvelle vague espagnole, fortement marqué par son lien avec le surréalisme de Buñuel est né. Vicente s’en détache par la suite, réalisant des films plus commerciaux, plus érotiques et fantastiques : Les Cruelles, La novia ensangrentada et Clara es el precio. Il revient à un cinéma politique avec Cambio de sexo où il parle de transidentité en 1977, démontrant encore un sens de la modernité.
L’héritage du film
Il permet aussi à de jeunes actrices d’accéder à une carrière comme Victoria Abril qui apparaît dans une dizaine de ses longs-métrages ou encore Pilar López de Ayala qui obtient un Goya de la meilleure interprétation dans l’un de ses films. Ce qui n’est pas forcément le cas avec Fata Morgana. Teresa Gimpera est une mannequin célèbre qui se retrouve ainsi à jouer son propre rôle, elle fera par la suite quelques apparitions notables comme dans Opération de Mira en 67 et Asignatura aprobada en 87 sans réellement accéder à une carrière sortant d’Espagne. Marianne Benet qui joue l’épouse du Professeur, quant à elle, est connue pour Les combattants de la Nuit en 60 et L’épopée dans l’ombre de 59. L’essentiel de sa carrière aura lieu sur le petit écran. Marcos Martí a une petite carrière de 8 films composée entre autres de Los Cuervos et Terres de Violence. Antonio Ferrandis est un peu plus connu, il incarne le Professeur, et a joué dans plus d’une centaine de films dont Le Bel été, une série télévisée, ainsi que Retrato de Familia.
Malgré tout, Fata Morgana demeure une œuvre trop méconnue en France qui a non seulement participé à un mouvement artistique important mais qui résonne encore aujourd’hui avec les problématiques de notre société. Sans évoquer la beauté de ses décors et de sa mise en image par Aurelio G. Larraya qui a également travaillé sur El Santo contre les tueurs de la mafia.