Incubus (1966) – Folk horreur
Avec Incubus, Leslie Stevens plonge dans les spectateurs dans un curieux voyage dans la folk horreur. Le film a gagné depuis la réputation de film culte et à la fois maudit.
Sur une île, le village de Nomen Tuum est réputé pour ses eaux curatives. Seulement, ce village est aussi le terrain de chasse de succubes qui attirent les hommes jusqu’aux eaux tumultueuses de l’océan pour les livrer en pâture au seigneur des ténèbres. Leurs cibles paraissent trop faciles à Kia, une jeune succube, qui décide de s’attaquer à l’âme la plus noble qu’elle trouvera. Elle finit par la trouver en la personne de Markos, un héros de guerre, qui vit seul avec sa soeur.
Des choix de réalisation
Dès les premières images, la photographie frappe l’oeil du spectateur. La blancheur du sable s’oppose à l’obscurité des tenues que portent les succubes. Le contraste se trouve renforcé par la pâleur de leur visage et la blondeur de leurs cheveux. Ce choix de pellicule et d’éclairage met en valeur le visage des comédiens et comédiennes, soulignant leurs traits, mais aussi leur jeu. Pour cela, il faut saluer le travail de Conrad L. Hall qui a gagné trois Oscars pour son travail sur la photographie de Butch Cassidy et le Kid en 1969, American Beauty en 1999 et Les sentiers de la perdition en 2002.
La première séquence sur la plage peut également faire penser au Septième Sceau de Ingmar Bergman, film qui met en scène la mort fauchant des vies alors que la peste frappe la Suède. Ici, la figure de la mort s’incarne à travers les succubes, mais aussi les incubes. L’un deux, incarné par Milos Milos, apparait couvert de terre, adoptant la mimique d’une chauve-souris, faisant directement penser à l’image du vampire proposée par Friedrich Wilhelm Murnau dans son film Nosferatu le Vampire. Excepté qu’ici, les figures infernales hantent des lieux naturels : la plage, la forêt, des ruines où ils font leur sabbat et piègent les innocentes âmes.
De la folk horror ?
Ce qui n’est pas sans rappeler la Folk horror, un genre qui met en scène un environnement rural où le retour à la nature s’accompagne d’une horreur parfois teintée de paganisme et de fantastique. On peut citer en films majeurs du genre The Wicker Man de Robin Hardy, La nuit des maléfices de Piers Haggars, Les démons du Maïs de Fritz Kiersch ou plus récemment The Witch de Robert Egger ou Midsommar de Ari Aster. Le fait que le film soit tourné en espéranto ajoute à cette étrangeté qui qualifie la Folk Horror.
Ce choix de langue n’a pas été le premier du réalisateur. Leslie Stevens pensait d’abord au Volapük, une langue que l’on doit à Johann Martin Schleyer, un prêtre catholique allemand qui raconte que Dieu lui a demandé de créer une langue auxiliaire internationale. Phonétiquement plus ardu, Leslie lui a préféré l’espéranto. Un choix audacieux qui a pu éloigner le public peu familier avec cette langue.
Une atmosphère particulière
Pourtant, Incubus semble inspiré par des légendes assez familières qui auraient pu toucher le public. En effet, les succubes peuvent évoquer le mythe des sirènes, celui véhiculé par l’auteur danois Hans Christian Andersen où l’ondine tentatrice peut obtenir une âme humaine si elle tombe amoureuse et épouse un mortel. Et donc perd son caractère magique. Ici, c’est Kia qui, à force de feindre l’amour pour un héros de guerre appelé Marko, finit par éprouver des sentiments qui risquent de la perdre.
L’histoire d’amour provoque une lutte primitive entre le bien et le mal où l’influence chrétienne reste prédominante. Les tentatrices se dévouent aux forces du mal et seul le signe de croix ainsi que le son des cloches peut en protéger. L’esthétique de ces forces du mal bénéficie d’une approche plus naturelle : l’incubus, créature invoquée par les succubes, apparaît couvert de terre et porte des ailes de corbeau dans ses cheveux. Pour souligner ce lien avec la nature, de nombreux plans montrent les personnages proches du sol, avec des brins d’herbe en avant plan.
Une réputation sulfureuse
Ce qui marque aussi le film est son caractère maudit. À la suite d’une sortie plutôt confidentielle aux États-Unis, il voit toutes ses copies détruites dans un incendie. Ce n’est qu’en 1998 qu’une copie est retrouvée à la cinémathèque française. C’est à partir de cette copie que sera faite la restauration du film. Il y a également des incidents qui ont frappé de nombreuses personnes ayant travaillé sur le film, à commencer par la femme du réalisateur. Leslie Stevens l’aurait poussée au suicide. Le comédien Milos Milos qui joue l’incubus a connu une fin tragique. Officiellement un double suicide avec sa maîtresse, mais la rumeur a couru qu’ils auraient été assassinés par le mari jaloux. L’actrice Ann Atmar qui incarne la soeur de Markus s’est donné la mort peu de temps après la sortie du film. Enfin, la fille de la comédienne Eloise Hardt, qui incarne l’aînée de Kia, a été enlevée et assassinée. Et pour terminer, la société de production Daystar a fait faillite.
Heureusement, William Shatner qui incarne Markus échappe à cette malédiction frappant le casting. Le comédien québécois a une prononciation un peu différente de l’esperanto du fait de ses origines, ce qui le rend d’autant plus marquant. Le tournage d’Incubus dans sa carrière se situe entre Outrage de Martin Ritt et Rio Hondode co-réalisé par José Briz Méndez et Gilbert Kay. Leslie et Shatner s’étaient rencontrés sur le tournage de la série Au-delà du réel. Lorsque Incubus sort, Star Trek débute seulement sur le petit écran, la célébrité du capitaine Kirk ne bénéficie donc pas au film qui sombrera un temps dans l’oubli avant de devenir culte.