La Zone d’Intérêt (2024) – Expérimental
Avec La Zone d’Intérêt, Jonathan Glazer montre une facette jusqu’à présent inexplorée de l’holocauste : ceux qui l’ont mis en place et fais perdurer.
Dans une belle et imposante demeure au magnifique jardin, vit la famille Hoss. Par-delà le mur d’enceinte de leur jardin, résonnent des cris, éclatent des coups de feu, un nuage sombre dans le ciel s’échappe d’une cheminée. Pourtant, aucun des membres de la famille ne semble s’en émouvoir ou même s’en soucier. Ils discutent dans le patio, ils arrosent leurs fleurs, profitent de leur piscine et reçoivent leurs amis. Aux dires de madame Hoss, leur vie est en tout point parfaite. Elle est fière qu’on l’appelle la Reine d’Auschwitz, fière de parader dans la fourrure d’une juive se trouvant par-delà le mur, et ne se soucie pas que ses enfants jouent avec des dents en or.
Une horreur en hors champ
Ce petit pitch n’est qu’un bref aperçu de l’horreur qui néanmoins ne paraît jamais à l’écran, tenue sans cesse en hors champs, loin de la vue des spectateurs comme des membres de la famille Hoss. Jonathan Glazer, le réalisateur du très visuel Under the Skin, utilise tous les ressorts du cinéma indépendant américain, mais aussi du cinéma expérimental pour éprouver son spectateur. En choisissant des plans larges avec des optiques grands angles cachés dans le décor qui montrent tout de la petite vie des Hoss et absolument rien de la tragédie par-delà les hauts murs, il dit beaucoup de ces gens qui veulent ignorer l’horreur, dont ils profitent par opportunisme.
Le film démarre et s’achève sur un écran noir avec un son peu agréable aux oreilles. Il est difficile de définir de quoi se compose la bande son du film, certains cris se devinent, comme les coups de fusil, mais d’autres sons sourds sont dans la même optique de suggestions que l’image qui ne montre jamais les victimes du génocide qui se produit derrière ce mur. Un mur qui en revanche est tout le temps ou presque à l’image. L’écriture et la mise en scène sont un vrai tour de force, comme l’enchaînement d’une discussion sordide sur les fours et l’arrivée de nouveaux vêtements qui ne s’avèrent pas si neuf que ça.
L’inhumanité en image
Plus dérangeant encore, l’utilisation d’un mot pour un autre. Le manteau de fourrure vient du “Canada”, les employés de maison sans cesse rudoyés sont des “filles du village”. Pourtant, certains plans venant juste après, d’un rouge à lèvres trouvé dans la poche du manteau, de pleurs d’une des employées, démontrent que ce n’est qu’un nouveau mensonge pour adoucir la réalité sordide. Comme lorsque ces messieurs discutent de rendre plus efficace le “rendement” du camp. Jamais le mot victime n’apparaît, quant au terme juif, il n’est prononcé qu’une seule fois, par la belle-mère du commandant. Personnage qui disparaît, préférant quitter les lieux sans un adieu, sans un mot.
Impossible de ne pas songer à la novlangue de 1984, le roman de George Orwell qui critiquait un état dictatorial et tyrannique, mais aussi à Canine de Yórgos Lánthimos sorti en 2009 qui montrait comment un couple, tout vêtu de blanc, élevait leurs enfants dans une maison coupée du monde et réinventait le langage, les privant ainsi de capacité à comprendre le monde. La Zone d’Intérêt se situe dans cette suite logique de cinéastes qui utilisent l’expérimental pour mieux plonger leurs spectateurs dans une expérience inconfortable. La mise en scène cherche à faire éprouver une horreur sur laquelle tant de mots ont déjà été dits, et à la fois, pas suffisamment pour empêcher l’horreur de se répéter.
Des récompenses méritées
La Zone d’Intérêt a été salué à Cannes où il a remporté le grand prix, mais aussi au BAFTA où il a reçu le prix du meilleur film britannique et aux Oscars pour le prix du meilleur film international en 2024. Toutes ces récompenses montrent que non seulement le film a réussi à aviver des sentiments forts chez ses spectateurs, mais qu’il résonne en nous. Plus que jamais en ces temps troublés, il faut s’interroger sur ce que nous montre Jonathan Glazer et ce que dit le film sur l’humanité. Sur cette famille en apparence si parfaite, mais dont les mains sont couvertes de sang comme le montre un plan très rapide. D’autres plans marquants et révélateurs apparaissent pour mieux provoquer un sursaut nécessaire.