Murder Rock (1984) – Disco giallo
Réalisé en 1984, MURDER ROCK appartient à la peu glorieuse fin de carrière de Lucio Fulci. Malade, le cinéaste est contraint d’enchaîner des productions au mieux sympathiquement « nanar » (l’effarant ZOMBIE 3) et, au pire, complètement ratées (AENIGMA, LES FANTOMES DE SODOME). Pas grand-chose à sauver, en vérité, dans le cinéma de Fulci après sa glorieuse trilogie de la mort qui lui valurent les honneurs des fans de cinéma gore.
Deux ans après le brutal et sexuellement explicite L’EVENTREUR DE NEW YORK, Fulci revient donc, une dernière fois, au giallo. Le bonhomme connait bien ce genre de thrillers à l’italienne, il a même donné dans les différentes variations du « filon » : la machination sexy de PERVERSION STORY, la version teintée de fantastique de L’EMMURE VIVANTE ou encore l’excellent LA LONGUE NUIT DE L’EXORCISME, polar campagnard poisseux qui pourrait bien être sa plus belle réussite. Le filon connait alors un certain regain de popularité avec quelques titres réussis comme TENEBRES ou LA MAISON DE LA TERREUR.
Malheureusement, le cinéaste italien n’a plus, lors du tournage de MURDER ROCK, l’énergie qu’il possédait cinq ans plus tôt. A sa sortie, la vision de ce thriller voulu tendance et « branché » s’avère une terrible déception pour ses admirateurs. D’autant que, par définition, la mode se démode très vite. Le style clip typique des années ’80 et le disco synthétique alors en vogue ancrent définitivement ce MURDER ROCK dans son époque. Bizarrement, cela le rend, aujourd’hui, plus plaisant, un peu comme un morceau de Stock, Aitken et Waterman. On trouvait ça un peu naze les titres de Rick Astley, Jason Donovan ou Sonia mais aujourd’hui on les écoute avec le sourire du nostalgique. MURDER ROCK c’est un peu pareil, surtout que depuis le Bis italien est mort de sa belle mort et que tout s’est terminé lorsque Bruno Mattei a passé l’arme à gauche.
L’intrigue prend place dans une école de danse, alors qu’une troupe en quête de succès s’entraine durement en vue d’une future représentation à Broadway. Malheureusement, les danseuses commencent à tomber comme des mouches. Qui peut bien être le coupable ? Difficile à dire mais le scénariste aide le spectateur : à force de décimer le casting l’étau se resserre et les coupables potentiels sont de moins en moins nombreux. Surtout que la directrice, Candice, est de plus en plus menacée par le mystérieux meurtrier. Quel est son mobile ? se demande un inspecteur de police fatigué qui mène mollement l’enquête dans ce véritable « panier de crabes » riche en tromperies, coucheries et autres compromissions.
Fort timoré, MURDER ROCK élude complètement les dimensions érotiques, pourtant évidentes étant donné le choix d’une académie de danse comme lieu central des meurtres. A l’exception de brefs plans de nudité, Fulci se refuse à étaler la chair de ses danseuses, même couvertes de sueurs et seulement vêtues de tenues échancrées. Cette regrettable timidité se retrouve d’ailleurs dans les crimes en eux-mêmes, d’une surprenante mollesse. Peut-être lassé de sa réputation de « roi du gore italien », le réalisateur propose des meurtres insipides et répétitifs, le maniaque se contentant de planter une aiguille dans la poitrine de ses victimes. Ce modus operandi réutilisé à plusieurs reprises à la consternation du spectateur n’est d’ailleurs même pas original puisqu’il provient du nettement plus réussi LA TARENTULE AU VENTRE NOIR, tourné douze ans auparavant. Bref, Fulci tatouille, quelque part entre SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN et SUSPIRIA, courant après le succès de Bava et Argento en accouchant surtout d’un modeste whodunit de facture très conventionnelle. Où est passée la stylisation érotico macabre des crimes hautement sexualisés qui a assuré aux gialli une bonne partie de leur réputation ? Nulle part, hélas !
Avec MURDER ROCK, Fulci souhaite surtout surfer sur le succès récent, du moins à l’époque, des comédies musicales d’inspiration « disco » comme FAME ou FLASHDANCE. Le réalisateur convie donc le fameux claviériste d’ELP, Keith Emerson, parait-il très bien payé, a assuré la bande sonore pas franchement mémorable. Très décriée, la partition (rarement inspirée), illustre une série de chorégraphies minables et datées quoique certaines chansons (« Are the streets to blame ? ») possèdent un charme kitsch qui les rend finalement additives.
Excepté une petite poignée de séquences acceptables, en particulier celles précédents les meurtres, MURDER ROCK s’avère dans l’ensemble très routinier. Fulci, peu emballé par son récit, se contente d’une mise en scène relâchée, les acteurs s’agitent sans conviction et l’énigme proposée ne suffit pas à maintenir l’intérêt du spectateur.
Le policier forcément cynique et désabusé, incarné par Cosimo Cinieri (L’EVENTREUR DE NEW YORK), reste le seul personnage intéressant du métrage, perdu au milieu d’une troupe d’égoïstes arrivistes si antipathiques que leur élimination successive constitue un soulagement pour le public. On retrouve cependant dans cette distribution quelques visages familiers du Bis italien comme Ray Lovelock (LE MASSACRE DES MORTS VIVANTS), Olga Karlatos (L’ENFER DES ZOMBIES) et Claudio Cassinelli (LA MONTAGNE DU DIEU CANNIBALE) qui devait décéder peu après dans un accident d’hélicoptère. MURDER ROCK rassemble également quelques nymphettes débutantes certainement davantage choisies pour leur physique (ou, à la limite, leur talent de danseuse) que pour leur qualité d’actrices.
L’intrigue, elle, avance de manière erratique en proposant des coups de théâtres forcés, des fausses pistes peu concluantes et des révélations absurdes. Ainsi, un suspect s’accuse des crimes avant d’être disculpé, une femme tente de supprimer une rivale en espérant mettre le meurtre sur le dos du sadique mais renonce à son projet au dernier moment, etc.
Ce micmac cherche vaille que vaille à compliquer une trame en réalité fort simple pour atteindre la durée réglementaire de 90 minutes.
Malgré tous ces défauts, quelques qualités subsistent, comme la photographie de Guiseppe Pinori, laquelle utilise adéquatement les ombres menaçantes pour les traverser de couleurs primaires, comme les néons bleutés des lampes. Là aussi, ces choix sont aujourd’hui de véritables marqueurs d’une époque, celle qui vit triompher « Miami Vice », les clips enfumés de MTV, les productions « Hollywood Night » et les thrillers érotiques à destination des vidéo-clubs.
Reprenant les thématiques du giallo (tueur mystérieux, lieu clos propice aux fantasmes, belles demoiselles en détresse), MURDER ROCK n’en garde que l’un ou l’autre élément signifiant mais mal exploité. Même la conclusion du métrage, expédiée pour ne pas dire bâclée, échoue à intéresser le spectateur. Si Fulci convoque le traditionnel « événement traumatique » pour expliquer les pulsions meurtrières du coupable, lui-même ne semble guère y croire et interrompt le début d’explication fourni par le psychologue d’un simple « ok docteur, ne commencez pas ».
Si à sa sortie, MURDER ROCK était un véritable ratage, le temps nous a rendu plus bienveillant. Sans crier au classique incompris et sans demander sa réhabilitation, il apparait aujourd’hui comme un petit film sans envergure mais pas déplaisant qui se regarde finalement sans trop d’ennui. Les métrages ultérieurs de Fulci, de plus en plus navrant, invitent d’ailleurs à une certaine indulgence devant ce néo-giallo-disco.