Un texte signé Franck Boulègue

Japon - 2001 - Takashi Miike
Titres alternatifs : Koroshiya 1
Interprètes : Tadanobu Asano, Nao Omori, Shin’ya Tsukamoto, Paulyn Sun, Susumu Terajima

retrospective

Ichi The Killer

« N’aies pas peur, ça va juste faire extrêmement mal ! ». Cette réplique résume en peu de mots la teneur de l’intrigue : un vaste jeu de massacre, tendance misogyne, ultraviolente, survoltée, sado-maso… Du pur Takashi Miike, en somme !
Tiré d’un manga à succès de Hideo Yamamoto, le scénario cultive en permanence un second degré salutaire qui aide grandement à faire passer la pilule. Le spectacle est insoutenable de cruauté. Pourtant, le côté « cartoonesque » de l’ensemble, l’aspect grand-guignolesque des multiples carnages et les bizarreries des personnages confèrent au métrage de nombreuses touches humoristiques qui désamorcent chacune des scènes de mutilation qui le ponctuent.
Tout commence avec le meurtre (le mot est faible, l’appartement est littéralement repeint en rouge) d’Asano, patron d’un gang de yakuzas de Shinjuku, à Tôkyô. Ses hommes de main – Kakihara (Tadanobu Asano) en tête, cheveux décolorés et bouche fendue en un terrible rictus permanent – se lancent alors à la poursuite de l’assassin de leur boss. Grâce à des informations confiées par un certain Jijii (Shin’ya Tsukamoto, le fameux réalisateur cyberpunk de TETSUO et TOKYO FIST), ils enlèvent et torturent le dénommé Suzuki qui, soit disant, ne leur aurait pas pardonné leur mainmise sur le marché de la vidéo pornographique. Il aurait par conséquent décidé de se venger d’eux en s’en prenant à leur patron. Seulement, après l’avoir gentiment percé de toutes parts et ébouillanté jusqu’à le rendre méconnaissable, ils se rendent compte de leur bévue : leur informateur les a bernés, Suzuki est innocent. Kakihara, pour se faire pardonner cette bourde (en fait, il n’a pas l’air plus désolé que ça), se tranche à vif le bout de la langue. Il force ainsi tout à la fois le respect et la terreur de ses acolytes… Cette besogne accomplie, il répond au téléphone comme si de rien n’était ! Il précisera peu après que ce n’était pas grand chose, le corps humain se régénère.
Petit à petit, Kakihara remonte la piste qui le mènera jusqu’au mystérieux Ichi, l’assassin de son boss bien aimé (sado-masochiste jusqu’à la moelle, il est en manque des raclées mémorables qu’Asano lui infligeait avant son trépas). Curieux hurluberlu que cet Ichi, avec ses yeux globuleux et son air benêt d’adolescent coincé à l’âge de la puberté, son hyper-émotivité, ses troubles sexuels. Vêtu d’un costume de super-héros kitsch à souhait, il assouvit sa revanche personnelle contre les membres de la pègre nippone en les découpant en rondelles à l’aide de violents coups de pieds armés de rasoirs, assénés à la manière d’un karatéka. Victime d’un traumatisme alors qu’il était encore étudiant (l’adolescente qui veillait à ce qu’on ne le brutalise pas s’est faite violer devant lui, sans qu’il puisse se résoudre à intervenir pour la sauver), il tue depuis lors les diverses incarnations de ces brutes de lycéens.
Seulement, il va s’avérer que ce souvenir a en réalité été implanté en lui par Jijii lors d’une séance d’hypnose. Jijii tire ainsi les ficelles de ces affrontements à distance, sans qu’on puisse le soupçonner (ce n’est probablement pas un hasard si Miike a choisit Tsukamoto pour tenir le rôle de cet hypnotiseur – aurait-il d’ailleurs magnétisé d’autres personnages de ce récit, comme tendrait à le prouver l’absence de marque sur le front de Kakihara après sa chute mortelle depuis le toit de l’immeuble où s’est déroulé l’ultime face à face du film ?).
Contrairement à ce que pourrait laisser penser l’affiche du film, ce n’est donc pas Asano qui incarne Ichi, mais Nao Omori. Seulement, Kakihara étant plus flamboyant, plus haut en couleur (à l’image de sa garde-robe) que ce pleurnichard d’Ichi, il convenait de lui laisser le haut de l’affiche.
ICHI THE KILLER se révèle être une œuvre remarquablement filmée par Takashi Miike, toujours aussi déjanté. L’image et le montage sont extrêmement travaillés (accélérés, coups d’arrêt, remarquable palette de couleurs, musique électro aux rythmes brisés, etc.). Le jeu des acteurs est lui aussi poussé à l’extrême (costumes outranciers, comportement décalé). Pourtant, derrière l’apparence de chaos qui se dégage de ce film, se cache une véritable réflexion sur le sado-masochisme, la chirurgie esthétique et les autres formes de modifications corporelles (les fameuses « bod-mods » – body modifications) qui tendent à se généraliser dans nos sociétés (piercing, branding, tatouage, etc.). Rarement un film aura autant mis l’accent sur le corps humain et les sévices qu’on peut lui infliger. Si Kakihara s’en prend à la chair de ses victimes, Jijii agit sur elles par l’entremise de leur esprit, en les hypnotisant.
Reste à savoir lequel des deux prendra finalement le dessus sur son adversaire !


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- Article rédigé par : Franck Boulègue

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