Un texte signé Philippe Delvaux

USA - 1943 - Howard Hughes
Titres alternatifs : The outlaw
Interprètes : Jane Russel, Jack Buetel, Thomas Mitchell, Walter Huston

DossierL'Étrange Festival 2012retrospective

Le banni

Pat Garret, ancien outlaw reconverti en sherif, voit débarquer son vieil ami et complice Doc Holliday. Celui-ci n’est pas en quête d’un mauvais coup mais piste le voleur de son cheval. Il le retrouve bien vite : il s’agit d’une jeune tête brulée du nom de Billy, dit le kid. Ce dernier n’entend pas rendre son cheval à Doc Holliday, quand bien même la réputation de tireur d’élite de celui là n’est plus à faire. Doc Holliday est amusé par ce chien fou et s’il veut absolument récupérer son cheval, c’est peut-être moins pour le destrier que parce qu’il peut ainsi tester et asticoter celui qu’il entrevoit comme un futur partenaire. Cette liaison n’est pas du tout du gout de Pat Garret qui se sent rejeté et ne peut pas blairer le Kid. Une fusillade au cours de laquelle, en état de légitime défense, Billy tue un adversaire l’oblige à fuir, suivi de Doc et poursuivi par le shérif. Gravement blessé, Billy ne doit la vie sauve qu’à Doc qui le conduit chez Rio, sa maitresse, laquelle en veut gravement à Billy qui a tué son frère. Cependant, Rio ne peut se résoudre à tuer ce très charismatique garçon et en tombe bientôt amoureuse, le cachant même aux velléités vengeresses de Pat Garret.

Confronté à un film d’époque, la critique peut tenter de l’expliciter en resituant les enjeux et l’état d’esprit d’alors. Mais elle peut aussi au contraire évaluer le film avec un regard contemporain. La première démarche est ici vouée à l’échec. Les historiens du cinéma nous ont appris qu’à sa sortie, LE BANNI fut autant l’objet de la risée populaire que du dédain critique. Le producteur Howard Hughes avait cependant fait précéder le film d’une importante campagne publicitaire, qui renversa cette tendance et en assura le succès. Celui-ci fut cependant interrompu par un retrait du film des écrans, qui ressorti ensuite en 1946. Ceci nous apprend que, déjà à l’époque, certains films tenaient moins à leurs qualités intrinsèques qu’au budget publicitaire alloué pour conditionner le public. Un mauvais film peut donc devenir un hit si le public a préalablement été matraqué. Hollywood a depuis bien développé la formule.

Donc, si la réception à l’époque a été biaisée par les techniques de marketing, il nous reste à évaluer LE BANNI avec notre regard contemporain, sur base de ses seules qualités. Et il nous faudra bien convenir que s’il n’était guère brillant en 1943, il n’aura pas bonifié avec l’âge.

Nous nous trouvons ici en présence d’un western de série B basique. Le produit n’est pas honteux, on suit les pérégrinations des protagonistes, mais on aura du mal à s’y passionner. Howard Hughes, le cinéaste-aviateur, peine à faire décoller son spectacle ou à prendre de la hauteur. On se contente ici d’élargir le triangle amoureux en rectangle. Car oui, la relation Pat Garett – Doc Holliday – Billy le kid s’inscrit dans le classique triangle que d’aucuns qualifieront d’amitié là ou d’autre y liront un sous-texte homosexuel évident… et d’autant plus appuyé que son élargissement à Rio le renforce encore, les deux amants de celle-ci la traitant comme une simple ménagère dont on rabat le caquet s’il lui vient l’outrecuidance de révéler son tempérament. Certes, ce dernier point traduit sans doute autant les mœurs machistes de l’Ouest du 19e siècle que les Etats-Unis d’avant la contestation sixties, mais il n’en reste pas moins que le traitement des personnages masculins est troublant. Ce qui ressort d’ailleurs d’autant plus dans la caractérisation de Billy, montré comme un arrogant, mais aussi comme un morveux à baffer. Sachant que le film devait servir de véhicule de lancement à son interprète, on reste dubitatif quant à la puissance de séduction qu’a vraiment voulu conférer Howard Hughes à Jack Buetel. Il ne faudra pas chercher bien loin pour trouver qui a pu inspirer le Billy the kid dans l’adaptation par Morris pour la bande dessinée Lucky Luck.

L’autre rampe de lancement devait servir à Jane Russel, mission là parfaitement remplie, même si on ne peut vraiment retenir un rôle ou une performance marquante. Mais évidemment, une dizaine d’année après sa rédaction et alors qu’il est pleinement en vigueur, voir une telle actrice sous la férule du code Hays devait avoir quelque chose de réconfortant pour le public. Les commentateurs d’alors n’ont d’ailleurs pas manqué de relever les deux atouts de la comédienne : poitrinaire et mammaire. Bien entendu, nous sommes en 1943 et l’érotisme y est très allusif. Il faudra se contenter des cadrages sur la gorge de Jane Russel, de cette scène la voyant susurrer à un Billy agonisant « Je vais te tenir au chaud, tu ne mourras pas » pendant qu’elle se déchausse et s’approche de son lit, de cette promesse de baiser où ses lèvres se rapprochent de la caméra… et plus tard d’une scène de sadisme où Billy l’abandonne dans le désert, écartelée en plein soleil… à côté d’un point d’eau inatteignable. Il semble que LE BANNI ait dû batailler avec la censure pour pouvoir sortir et concéder quelques coupes, ce qui n’a pas empêché les ligues de vertu de s’émouvoir. A sa ressortie en 1946, son visa d’exploitation lui fut même retiré. Howard Hughes réagit en offrant une copie à chaque exploitant qui prendrait le risque de la projeter… stratégie payante, le film rencontre à nouveau le succès.

Un carton en ouverture indique que « Du soleil du désert s’abattra un bras vengeur sur ceux qui osent défier la justice et outrager la décence. » On peut y lire métaphoriquement une saillie ironique du producteur-réalisateur qui se pose en outsider face à la production des majors (encore plus) sous la coulpe du code Hays. Howard Hughes propose ici à la fois une nouvelle actrice destinée à faire fantasmer le spectateur et un sous-texte aussi sulfureux qu’il est peut-être inconscient.

LE BANNI est distribué par la RKO… qui passera sous la coupe d’Howard Hughes peu après, entre 1948 et 1955. Relevons qu’au départ, Howard Hughes devait se contenter de produire, Howard Hawkes se chargeant de la réalisation. Mais ce dernier a très vite abandonné et Howard Hughes a repris les rennes, ce dont il était coutumier (cf. HELLS ANGELS, 1930). Howard Hawkes attendra encore quelques années et RED RIVER avant de pouvoir se révéler dans le western.

Historiquement, LE BANNI est donc le film qui a lancé Jane Russel. L’essentiel de sa carrière se déployera à l’ombre d’Howard Hughes : HIS KIND OF WOMAN et MACAO (1951), THE LAS VEGAS STORY (1952), THE FRENCH LINE et UNDERWATER (1954)…

Son producteur-réalisateur a été remis sous les feu de la rampe en 2004 quand Martin Scorcese a réalisé sa biographique avec THE AVIATOR.

On l’a dit, LE BANNI n’est pas une grande œuvre de cinéma. Pas de gros décors ou de vastes paysages, bien que le budget de ce qui devait au départ se limiter à une petite production ait décuplé. Le sujet ne l’appelle de toute manière pas puisqu’il privilégie les relations entre les personnages. Mais, c’est là que le bât blesse : le traitement y est de l’ordre du comique. Outre celui qui est revendiqué (l’enjeu récurrent du cheval, la rivalité amoureuse entre Rio et sa tante), il en est hélas un autre qui ressort tant de la caractérisation des protagonistes que de leur interprétation. On rit parfois moins avec les personnages que d’eux-mêmes et c’est ce qui a dû se produire au lancement susmentionné du film.

LE BANNI n’est pas un incontournable du western. Il reste néanmoins un spectacle tout à fait regardable, notamment pour les amateurs de Jane Russel. LE BANNI a été proposé par Kenneth Anger, à l’occasion de la carte blanche que lui a offerte l’édition 2012 de l’Etrange festival.

Retrouvez notre couverture de l’Etrange Festival 2012.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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