Un texte signé Alexandre Thevenot

Finlande - 1952 - Eric Blomberg
Titres alternatifs : Valkoinen peura
Interprètes : Mirjami Kuosmanen, Kalervo Nissila, Ake Lundman...

retrospective

Le renne blanc

En 1953, Jean Cocteau décerne au film d’Erik Blomberg LE RENNE BLANC le prix du film légendaire. Ce film finlandais n’est pas sans rappeler parfois l’univers cinématographique de Cocteau, son approche du merveilleux et son aptitude à faire sortir des plans la poésie d’un instant.

L’histoire du métrage LE RENNE BLANC se situe dans le froid finlandais et les étendues blanches.
On suit l’histoire d’une femme solitaire qui va rendre visite à un sorcier parce que son mari s’absente toujours pour aller chasser. Le sorcier lui conseille de faire un sacrifice à une divinité afin qu’elle se révèle à elle-même. Elle immole alors un jeune renne blanc que son mari lui a laissé, et voilà qu’elle se transforme la nuit venue, en un renne d’un blanc immaculé. Ainsi investie par les puissances divines, elle se met à tuer tous les chasseurs.
Sous ce synopsis quelque peu inquiétant, se cache en fait une œuvre à la fois familière et singulière. Le film nous emmène de plain-pied dans l’univers du conte merveilleux avec son histoire de métamorphose et de sorcier, qui semble issue d’une légende locale.
A mille lieux de la production fantastique actuelle, c’est l’occasion de se replonger dans un style proche du fantastique à l’ancienne d’un Jacques Tourneur ou d’un Jean Cocteau. Tout est dans la suggestion. C’est de là d’ailleurs que surgit la poésie de l’histoire et des images.
Que ce soit la scène où la femme rend visite au chaman, ou la scène onirique dans la cabane où elle semble vouloir dévorer son mari, l’horreur arrive toujours au travers d’une scène ou d’un moment, pour disparaître aussitôt de l’image. Tout est dans l’invisible et le non-dit ; c’est au spectateur d’assimiler l’omniprésence de la menace qui pèse sur les différents personnages.
En revanche, ce qu’il y a de singulier dans le fantastique du RENNE BLANC, c’est le cadre dans lequel il apparaît : la neige et le ciel gris clair . Cette impression est renforcée par le noir et blanc.
Les couleurs semblent inversées. Le danger ne vient pas des zones d’ombres ou d’un travail sur le noir comme on aurait pu s’y attendre, mais il semble provenir de ce blanc éclatant et de l’infini vers lequel il s’étend.
Cette impression d’ infini est accentuée en plus par le fait que rien ne vient limiter la vue du ciel ou du sol en bouchant les perspectives. Ces éléments participent bien évidemment au charme du métrage. Mais le réduire à ce seul intérêt serait dommage, tant il présente d’autres particularités qui en font une œuvre à part.
LE RENNE BLANC est en effet aussi l’occasion de découvrir une culture différente de la nôtre. Nous pouvons y voir un peuple qui doit s’adapter au climat rude du nord. La chasse prend toujours du temps et les déplacements ne sont jamais facilités. Nous avons d’ailleurs à plusieurs reprises l’occasion de voir les traîneaux utilisés et les skis en bois. Erik Blomberg prend chaque fois son temps pour bien montrer et décrire la vie des villageois et les habitudes prises pour vivre le mieux possible dans ce territoire.
Dès les premières images du film où le spectateur assiste à une course de traîneaux, un chant mystérieux se fait entendre. Il s’agit en fait d’un chœur qui annonce l’histoire à venir. La dimension folklorique est donc déjà présente et ne disparaîtra pas pendant la durée du métrage. Au contraire, parfois les pauses dans le récit principal vont amener le réalisateur à adopter le ton du documentaire.
C’était peut-être là un moyen de combler les lacunes d’une histoire trop simple et trop linéaire.
Enfin l’intérêt qu’on peut prendre à ce film tient beaucoup au portrait qui y est fait de la jeune épouse. Les femmes du village sont toutes présentées comme des personnes qui restent au foyer et qui doivent s’occuper aux tâches domestiques pendant que les hommes partent chasser. Cette idée avancée, on ne peut s’empêcher de penser qu’en allant voir le chaman, la jeune femme essaie symboliquement de s’extirper du quotidien. C’est donc une manière de se mettre en marge, de se dresser face à une société qui a ses règles, mais des règles qui ne sont pas flexibles. En même temps cet écart volontaire vers quelque chose de mystique à un effet pervers et prévisible. La femme devenue sorcière ou magicienne à cause d’un ressenti personnel, presque intime, déstabilise la paix apparente du village. Les chasseurs n’ont donc plus le choix : ils doivent se mettre à la chasse de ce renne blanc pour rétablir l’ordre préexistant !
Sans être un chef d’œuvre, LE RENNE BLANC est une curiosité à découvrir, et n’est pas dénué d’intérêt. Dans un cadre particulier, il développe une histoire fantastique à l’ancienne qui ne manque pas de charme. Sa courte durée, à peine plus d’une heure, fait que le récit de s’étire pas trop, et le spectateur ne risque pas de tomber dans l’ennui.
Ne boudons donc pas le plaisir de cette (re)découverte !


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Alexandre Thevenot

- Ses films préférés :


=> Pour prolonger votre lecture, nous vous proposons ce lien.
Share via
Copy link