L’Eté du Démon

Yoshitaro Nomura (1919-2005) a déjà réalisé plusieurs dizaines de films lorsqu’il connaît, en 1974, un retentissant succès mondial avec LE VASE DE SABLE, interprété par Ken Ogata. C’est une adaptation d’un roman policier de Seicho Matsumoto, un auteur parmi les plus importants de l’histoire de la littérature japonaise contemporaine. Cet écrivain est une sorte de croisement entre Simenon, ses inspecteurs ont un côté très MAIGRET de par leur obsession de la déduction, et Jean-Patrick Manchette. En effet, Seicho Matsumoto s’attache, à la manière du néo-polar français, à décrire la vie des « petites gens » en y mêlant une critique sociale orientée à gauche de l’échiquier politique. Puisque l’on ne change pas une équipe qui gagne, Yoshitaro Nomura, en 1978, décide d’adapter un autre roman noir de Seicho Matsumoto avec Ken Ogata dans le rôle-titre : L’ETE DU DEMON.
Un imprimeur, marié à une charmante épouse, entretient une liaison adultère avec une maîtresse. De cette liaison naît trois bambins « mignons tout plein ». Le mari se retrouve en grande difficulté financière et voit l’amante, elle aussi sans le sou, débarquer dans son imprimerie pour lui « refiler » sa progéniture puis disparaître. C’en est trop pour la mariée qui ne supporte pas les enfants, incarnations de son cocufiage. Le couple amorce alors une terrible descente aux enfers…
« Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir » chantait le pseudo rocker, et bien ce refrain ferait bonne figure dans la bande originale de KICHIKU. Rarement aura-t-on assisté à un film si désespéré et beau à la fois, si cruel bien que touchant, en fait, si humain ! Les personnages sont magnifiquement décrits, il est fort difficile de les détester totalement. Et cela malgré leurs comportements des plus horribles, c’est là toute la force de la mise en scène de Yoshitaro Nomura.
Travaillant chacun de ses plans telle une toile de maître, il induit de la beauté dans l’innommable. Son sens du cadre allié à la photographie sublime de Takashi Kawamata (le chef opérateur attitré de Nagisa Oshima) permet au soleil, métaphore d’une condition sociale oppressante, d’être un personnage à part entière qui contribue à rythmer ce film lancinant. Ces corps toujours trempés de sueur sont autant d’échos au rôle que joue l’élément aquatique lors de la conclusion du métrage. La confrontation finale est d’ailleurs l’une des plus bouleversantes jamais réalisé (avec peut être celle de L’EMPLOI DU TEMPS de Laurent Cantet-2001), Hiroki Iwase, pour sa seule apparition au cinéma, y est brillant. Il est accompagné par un casting extraordinaire.
Ken Ogata est Sokichi Takeshita, l’imprimeur ruiné et lâche. Cette super star nippone jouera chez Hideo Gosha (PORTRAIT D’UN CRIMINEL-1985), Shohei Imamura (LA BALLADE DE NARAYAMA), Shintarô Katsu (ZATOÏCHI 26-1989) et beaucoup d’autres, y compris le britannique Peter Greenaway (THE PILLOW BOOK-1996). Sa femme trompée, Oume, qui sombre dans la folie, est campée avec justesse par la belle Shima Iwashita. Cette épouse serviable, une fois bafouée, se révèle être d’une cruauté insoupçonnable. La stakhanoviste Shima Iwashita (qui tourne toujours avec près d’une centaine de films à son actif) fut découverte par le légendaire Yasujiro Ozu en 1960 (FIN D’AUTOMNE).
L’ETE DU DEMON est une œuvre d’une beauté plastique rare, porté par des interprètes exceptionnels, adapté d’un script d’une richesse singulière. Malheureusement, l’hexagone semble ignorer la filmographie de Yoshitaro Nomura dont seuls trois longs métrages ont eu le droit à une sortie en salles…