Un texte signé André Cote

Norvège - 2006 - Jens Lien
Interprètes : Trond Fausa Aurvaag, Petronella Barker, Per Schaaning, Birgitte Larsen, Johannes Joner...

review

Norway Of Life

Un homme, Andréa, se retrouve dans une ville étrange sans trop savoir pourquoi. Très vite, on lui donne un emploi, un appartement et il trouve même une petite amie. Néanmoins, il prend conscience que quelque chose ne tourne pas rond autour de lui.
Cinéaste inconnu du grand public, Jens Lien est pourtant un habitué des récompenses depuis quelques films, et ce NORWAY OF LIFE transporte avec lui un glorieux palmarès : de multiples prix au festival de Gérardmer et de Cannes.
Cependant, au vu de la première scène, on frémit à l’idée d’assister à un énième film se voulant si cérébral qu’il finirait par oublier son sujet : faire du cinéma en créant des émotions et donner vie à des personnages. Ainsi, le premier plan montre cet homme, Andréa, dans une station de métro, observant du coin de d’oeil un couple qui s’embrasse. A l’écran, les couleurs sont froides et ternes, le baiser est fait sans passion au point de devenir effrayant : le couple nous évoque plus volontiers des robots. Consterné par tant de froideur, Andréa fait un pas pour commettre l’irréparable : un suicide. La séquence suivante viendra nous rassurer en prenant place dans une station-service en plein désert. Les tonalités sont alors rougeoyantes et l’atmosphère charnelle en raison de la poussière venant se coller aux personnages qui connaissent de cette manière une fusion visuelle avec leur environnement.
Concernant la structure du scénario, nous devinons assez vite que l’on a affaire à un long flash-back sur les circonstances du suicide hypothétique d’Andréa : a-t-il sauté devant le métro ou pas ? Hypothétique puisque Lien a suggéré et non montré l’acte en lui-même.
De plus, l’histoire s’enrichit d’une allégorie dans l’esprit de L’INVASION DES PROFANATEURS de Philip Kaufman, remake presque homonyme d’un opus de Don Siegel. La seule différence est qu’ici, le propos est une attaque frontale d’un système auquel tout le monde adhère et non une illustration de l’émergence d’un ennemi intérieur sous couvert d’une invasion extra-terrestre (menace métaphorique chez Siegel l’invasion représentant le danger communiste ; menace universelle chez Kaufman, le danger n’ayant pas d’autre forme qu’extraterrestre, la parabole de la menace devenait plus libre d’interprétation).
NORWAY OF LIFE se rapproche de ses deux aînés par un point de départ similaire : les personnages principaux se retrouvent à mener une enquête sur la normalité factice de leur contemporain. L’hermétisme affiché se voit dès lors justifié par cette dénonciation.
Cette critique passe par la quête individuelle d’Andréa, une quête hédoniste aux accents humanistes puisqu’il est question du sens de la vie à travers le prix de son plaisir. Cette quête se verra confrontée au prêt à penser collectif. Comme toute quête, il lui faut franchir des obstacles qui ne prennent pas la forme d’aliens mais de simples êtres humains, représentants de l’entente communautaire.
De la quête d’Andrea, nous retiendrons sa tentative de suicide. Nous y voyons Andréa passant sous plusieurs métros dans l’espoir d’en finir pour de bon. Un véritable cartoon à la Chuck Jones en chair et en os nous est offert : Andréa nous évoque le Coyote des dessins animés. Nous l’entendons hurler à travers les tunnels souterrains et s’accrocher aux roues des métros, dans des plans d’un dynamisme surprenant qui contraste avec le calme auquel le film nous avait accoutumé jusqu’alors. L’espace de plusieurs minutes, Jens Lien martyrise son personnage pour que ce dernier « ressente » son corps au plus profond de sa chair. Un point de non-retour est franchi. Après un tel extrême, Andréa se doit d’achever sa quête, trop loin pour abandonner.
Ainsi, sur un genre des plus difficiles, Jens Lien signe une oeuvre onirique qui marque les esprits et se montre propice à des analyses très riches. On pourra penser à BIENVENUE A GATTACA ou DARK CITY par leur pitch du héros en rapport conflictuel avec un système (sujet ô combien galvaudé) et par ce lieu qui reste indéterminé (sommes-nous dans le futur ou dans un rêve éveillé ?). NORWAY OF LIFE trouve toutefois très vite sa propre identité et réussit à rendre universelles les multiples interrogations de son personnage principal, comme toute bonne allégorie. Indispensable, tout simplement.


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- Article rédigé par : André Cote

- Ses films préférés : Dark City, Le Sixième Sens, Le Crime Farpait, Spider-Man 3, Ed Wood

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