Un texte signé Angélique Boloré

USA - 2008 - Darren Lynn Bousman
Interprètes : Paul Sovino, Alexa Vega, Anthony Head, Sarah Brightman, Terrance Zdunich, Paris Hilton, Bill Moseley, Nivek Ogre

review

Repo! The Genetic Opera

Parfois, une œuvre spéciale traverse la production cinématographique, aveuglante et unique. Alors que les films d’aujourd’hui sortent tous du même moule, lisses et consensuels, il y en a un qui dénote dans la mollesse ambiante par son audace et son décalage. Il s’agit de REPO! THE GENETIC OPERA de Darren Bousman. Cette comédie musicale rock aligne des personnages irréels, aux dialogues incroyables, dans des décors gothiques de cimetières et de vieilles demeures, le tout engoncé dans un monde de science-fiction toxique et désespéré.
L’action se déroule en 2057. Presque 20 ans plus tôt, les hommes ont été décimés par une dégénérescence généralisée des viscères. A alors émergé une entreprise de biotechnologie, GeneCo qui remplace les parties défectueuses. Naturellement, cela a un prix et si le client ne peut plus s’en acquitter, Repo Man, l’assassin patenté par GeneCo vient tel un croque-mitaine sanglant arracher l’objet greffé.
Les personnages :
Rotti Largo (Paul Sovino) est le fondateur de GeneCo. Le magnat au passé sombre est aujourd’hui moribond et ne veut pas laisser son héritage à ses trois enfants terribles.
Luigi Largo (Bill Moseley) semble être le fils aîné. Son corps couturé n’est que le pâle reflet de l’insondable noirceur de son âme.
Pavi Largo (Nivek Ogre), le deuxième fils, arbore la peau d’un autre sur son propre visage. Un miroir constamment à la main et extrêmement maniéré, il incarne une version grotesque et grimaçante de Narcisse.
Amber Sweet (Paris Hilton) fille unique de Rotti Largo, elle est la victime consentante et avide du système généré par son père. Sa recherche insensée de l’adulation et l’assouvissement de ses pulsions la poussent vers la chirurgie esthétique à outrance et la défiguration.
Nathan Wallace (Anthony Head) est un scientifique déchu, un veuf éploré, un père de famille angoissé et castrateur, mais surtout un éviscérateur légal, the Repo Man. Lié par un obscur contrat commercial, il récupère pour le compte de Rotti Largo les épines dorsales, foies, poumons, cornées et coeurs des vilains mauvais payeurs, tout cela en secret de sa fille qu’il retient enfermée dans sa chambre depuis 17 ans.
Shilo Wallace, jeune fleur fragile est l’élément d’innocence et de pureté unique préservé dans ce monde cinglé où les fillettes de 13 ans subissent des interventions chirurgicales pour faire des passes et se droguer. Le prix à payer pour cette protection absolue est un enfermement qui a tout de carcéral hormis le nom et un mensonge paternel douloureux et sacrificiel.
Blind Mag est la marraine de Shilo. Plus jeune, elle était aveugle et la meilleure amie de sa mère décédée. Elle est la cantatrice vedette de GeneCo, liée par contrat en remboursement de ses yeux biotechnologiques.
Le passé des personnages est raconté par des flashes-backs, des insertions de vignettes de bande dessinée et par un personnage récurrent, le Grave-Robber (le déterreur de cadavres). Terrance Zdunich, l’un des créateurs de l’œuvre originale, incarne magnifiquement ce personnage déroutant et fascinant, alliant une image de bas-fonds glauques et de beauté volontairement vampirique.

Dans le monde de REPO, la nature a perdu son dernier combat. Les arbres sont morts, les animaux ne sont plus, le ciel est éteint. Par l’industrialisation, l’homme devrait avoir disparu lui aussi mais la technologie l’a sauvé en remplaçant l’intérieur de son corps pourrissant.
Le décor général est planté. Que nous dit en vérité le film ?
Ce monde est déjà terrifiant et pourtant, avec les enfants de la famille Largo, nous avons un échantillon d’humanité horrible à en vomir. Ils sont décadents, meurtriers, grotesques. Ils tailladent leur chair, la lacèrent inlassablement, à la vaine recherche de leur âme sans consistance. Il ne semble leur rester que leur soif de pouvoir pervertie, avide et immorale.
Contrairement à ses enfants, le père (Rotti Largo/Paul Sovino) semble éprouver des sentiments qui ressemblent vaguement à des émotions humaines. Il pourrait même parfois obtenir la sympathie du spectateur mais il suffit d’une ou deux actions et finalement notre spectateur comprend que les trois pommes ne sont pas forcément tombées bien loin de l’arbre.
Ensuite, nous avons le père et la fille, Nathan et Shilo. Voilà enfin des personnages dans lesquels nous pouvons sans mal nous reconnaître. Les relations entre eux sont difficiles. L’amour est là mais le ressentiment de Shilo envers ce père surprotecteur, sa haine pour sa défunte mère responsable de sa maladie et son enfermement l’empoisonnent. Et cette relation déchirée se double d’un passé paternel trouble et aux motivations inavouables. En effet, que penser de la joie féroce du père, sa démence lorsqu’il mutile les mauvais payeurs ?
Dans le camp des personnages à sauver, nous trouvons également Blind Mag. Belle femme, douce, mystérieuse et mélancolique, elle envoûte par sa voix et sa posture le spectateur. Et pourtant, nous restons encore sur la réserve car elle arbore des yeux mécaniques monstrueux.

REPO! THE GENETIC OPERA est un véritable opéra. C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’un film alignant quelques morceaux de musique mais d’un torrent ininterrompu de chants. En effet, tous les dialogues sont chantés. L’opéra sur pellicule est un exercice ardu car inhabituel (de telles œuvres se comptent sur les doigts de la main) et périlleux (une fausse note et l’ensemble peut basculer). Au-delà des mots prononcés, les musiques servent le propos, traduisent une personnalité, une tension, une angoisse. La cantatrice semble tout droit sortie d’une version décalée des opéras italiens. Ses morceaux musicaux sont doux, accompagnés d’un instrument dépassé, le clavecin. Ses tenues, ses postures altières, la distinguent du reste des protagonistes. Ses apparitions dans l’histoire restent gravées dans la mémoire du spectateur par leur qualité romantique. Son monologue dans le cimetière bleuté, profondément triste, sa splendide prestation pour Shilo, aimante et désespérée et enfin sa fin, tout point conforme à un chant du cygne, en font une figure tragique et douloureusement affligée.
En ce qui concerne l’autre personnage féminin aimant, Shilo oscille quant à elle entre douceur et frénésie, telle une adolescente typique, rebelle et désespérément prévisible. Ses chansons passent donc de la lente ballade nostalgique aux accords hystériques d’une guitare électrique d’un furieux morceau punk. La richesse de l’histoire, des protagonistes et de leurs émotions offrent ainsi une alternative intéressante aux types de musiques.
A ce titre, le personnage de Rotti Largo arbore par exemple un thème récurrent mettant en scène un piano, instrument lui saillant parfaitement, profond, grave. Pour le côté sombre, à travers leurs propres shows, les enfants Largo nous effraient, nous fascinent et nous répugnent. Outrageusement décadents, ils poussent à l’extrême le stéréotype de l’enfant roi cruel, totalement insensible à ce qui n’est pas lui.
Quelques faiblesses peuvent subsister. Le film s’essouffle vers la fin, le rythme est inégal, l’univers par ailleurs fascinant dénote un manque certain de moyens financiers. Cependant, les décors parlent d’eux-mêmes, soulignent l’action, tiennent parfaitement leur rôle d’écrin visuel. Une myriade de détails accrochent l’œil (les costumes, les affiches volontairement retro, les vignettes de BD). En outre, voir un Jack l’Eventreur futuriste évoluer dans un environnement sectaire, hiérarchisé avec un monde souterrain gothique et sanglant et au-dessus une société proche de l’univers visuel et sonore de Michaël Ninn fait également notre bonheur.
Toute cette œuvre a quelque chose d’improbable, et pourtant ça marche si l’on s’en donne la peine. A l’origine, Darren Smith et Terrance Zdunich, les fondateurs, jouaient ce mini opéra d’une dizaine de minutes sur scène. The Necro-Merchant’s debt a mûri pendant plusieurs années avant de trouver un financement. Il aura fallu une bande-annonce accrocheuse pour démarcher les producteurs et le nom de Bousman pour que REPO! THE GENETIC OPERA le film voit enfin le jour. Le projet ne manque pas d’audace, à l’instar du choix de Paris Hilton, absolument superbe en riche héritière sexy qui va tellement loin dans son aberrante et pathétique recherche qu’elle en perd son visage sur scène. C’est grotesque, fascinant et terrible ! La leçon a retenir est de savoir qui sont les bouffons, ceux qui se charcutent jusqu’à devenir monstrueux dans le but de rester jeunes et adulés ou bien ceux qui les placent sur ce piédestal, avides, manipulés et décérébrés, à l’image de la meute débile assise dans le théâtre du GeneCo Opéra.


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- Article rédigé par : Angélique Boloré

- Ses films préférés : Autant en Emporte le Vent, Les dents de la Mer, Cannibal Holocaust, Hurlement, L’invasion des Profanateurs de Sépultures


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