Delirium (1987) – Giallo érotique
Sentence de mort, aussi appelé Delirium, est classé comme un giallo érotique italien qui porte un regard critique sur la télévision berlusconienne.
Serena Grandi, petite célébrité de l’époque, incarne la belle Gloria, une ancienne mannequin qui dirige un magazine érotique destiné aux hommes appelé Pussycat. Après un shooting photo dans sa villa, une des mannequins y ayant participé est violemment assassinée. Quelques jours plus tard, son cadavre est retrouvé et Gloria reçoit une photo du corps mis en scène devant l’une de ses anciennes photos. Au fil des corps qui s’accumulent, Gloria devient de plus en plus suspicieuse. L’assassin est manifestement obsédé par elle, serait-il l’un de ses proches ? Son voisin tétraplégique qui passe son temps à l’observer ? Un acteur de péplum qui est également son amant ? Ou son assistante dévouée qui semble presque amoureuse d’elle ?
Film ou téléfilm ?
Produit pour être projeté en salle, Delirium ressemble pour autant à un téléfilm. De par ses décors, la villa où se passe l’essentiel de l’action pourrait très bien être à Beverly Hills, son ameublement clinquant dévoilé dans des plans larges fait penser à des séries télé américaines du type Amour, gloire et beauté, enfin, le caractère explicite de certaines scènes comportant de la nudité et où la mise à mort mime l’acte sexuel évoque plus les téléfilms érotiques qu’un film destiné aux salles. En réalité, il est difficile de ne pas y voir les codes de la télévision berlusconienne, qui se tentait de copier son équivalent états-unienne. D’ailleurs, la présence de la star de la pop Sabrina dans une scène de piscine fait explicitement référence au célèbre clip de la chanteuse.
Pour autant, au-delà de cette image télévisuelle, Lamberto Bava déploie tout son talent de cinéaste dans les scènes de mise à mort. En effet, celles-ci tranchent avec le reste du film, tant par leur mise en scène que par la fantasmagorie qui en émane. Comme c’est le cas avec la toute première séquence de meurtre : Un œil unique couvre tout le visage de la victime lorsque la caméra épouse le point de vue de l’assassin. Cette vision surprend, d’autant plus que par la suite, lors d’une mise à mort en utilisant des abeilles, la victime se voit dotée d’une tête d’insecte et de mandibules. Jusqu’au visuel de l’assassin, qui apparait dans la scène finale, avec son maquillage qui emprunte au mime et à la comedia del arte. Cette esthétique rompt d’autant plus avec les scènes plus triviales filmées en plan large.
Un giallo érotique
D’après ses dires, Lamberto Bava n’est pas un amoureux du giallo, ce qui pourrait expliquer que Delirium semble moins réussi que d’autres de ses œuvres, on pense notamment à Démons qui ressort plus du genre fantastique. Pourtant, Lamberto Bava, dont le père a lancé le genre avec La fille qui en savait trop apparaît à beaucoup, notamment aux producteurs italiens, comme un héritier. Et quelque part, la mise en scène des meurtres dans Delirium le prouve. En effet ce qui caractérise le giallo est bien le caractère graphique des mises à mort, souvent originale, esthétiques. A cela peut s’ajouter l’exploration des méandres de la psyché du tueur, ce qu’a fait notamment Dario Argento dans Profondo Rosso où il lie les pulsions de mort aux pulsions de vie dans un esprit dérangé. Or, Lamberto Bava a longtemps assisté Dario Argento, qui en retour a produit sa duologie Démons.
Pourtant, la sortie de Delirium en 1987 semble tardive, en effet, le giallo est déjà sur le déclin. Cela explique peut-être l’ajout d’une dimension érotique explicite, habituellement absente du genre. L’érotisme est implicite, suggéré à travers l’arme qui pénètre le corps de la victime ou l’usage de gant, chapeau, costume qui fétichise le tueur. L’époque aussi se veut plus osée, on dénude plus aisément les corps alors que les publicités pour marques de lingerie, parfum ou encore produit de beauté déshabillent les femmes. On sent bien que la mise en scène ne cherche pas spécialement à rendre hommage à ces corps dénudés. Lamberto Bava est plus intéressé par montrer le désespoir des victimes, le sadisme du tueur, que de souligner la beauté de ces corps exposés.
Un film féministe ?
Pour autant, si on sent que le monde de l’érotisme ne fascine pas Lamberto Bava, il en dit quelque chose d’intéressant. Les personnages qui disposent du pouvoir sont les femmes, ce sont elles qui dirigent le magazine, qui choisissent les hommes qu’elles embauchent, qui acceptent de se dénuder. Malgré cette indépendance marquée, elles sont soumises au regard des hommes, à travers les photos prises, mais aussi à travers le tueur ou encore le voisin voyeur. Et puis, il ne semble pas y avoir de sororité entre elles, l’ancienne mentor de l’héroïne cherche à tout prix à racheter son magazine et pas un seul moment à l’aider, quant à son assistante, si elle semble presque amoureuse de l’héroïne, elle l’abandonne dès que les choses se corsent.
L’assistante en question est campée par Daria Nicolodi, ex-femme de Dario Argento, scénariste sur Suspiria, muse et comédienne, elle est une figure marquante du giallo et du cinéma fantastique italien. Sa présence à l’écran en dit long sur l’héritage du film. Tout comme la présence de George Eastman, réputé pour avoir joué dans de nombreuses séries b italiennes , tout autant des westerns que des films d’horreur puisqu’il a beaucoup travaillé avec Joe D’Amato, notamment sur Antropophagus.
Des références classiques
À cela s’ajoute certaines références. Le voisin voyeur fait penser dès sa première apparition à Fenêtre sur cour, puisqu’il observe sa voisine avec une longue-vue, est coincé sur un fauteuil roulant et surtout, est témoin d’un crime que personne d’autre n’a vu et dont toute trace disparaît, mais aussi à Psychose, car derrière lui apparait des têtes d’animaux empaillés, visibles en surplomb dans un plan en contre-plongée sur le personnage. Plus encore, un tueur obsessionnel tournant autour de mannequin fait penser au Voyeur de Michael Powell, considéré comme l’un des films d’horreur les plus importants du genre, et les plus classiques.
Ainsi, l’on pourrait avoir le sentiment que Lamberto Bava porte un certain regard sur le cinéma et l’art audiovisuel en général. Le comédien de péplum, genre italien mettant en image des figures de la mythologie romaine, qui est l’amant de l’héroïne, parait décalé tant physiquement que dans sa tenue, presque ridicule dans le décorum moderne où il se trouve, et rappelle que le péplum a disparu au moment où Delirium sort. Mais il dit aussi quelque chose du cinéma italien, devenu des productions télévisuelles, devant plonger dans l’érotisme pour encore attirer du monde. Les scènes de mise à mort, aussi graphiques soient-elles, sonnent étranges, détonnent avec le reste, comme pour souligner que le giallo aussi n’est plus d’actualité. La télévision règne désormais en maîtresse, et le cinéma italien, lui, est voué à s’éteindre. Une prédiction qui était déjà présente dans Démons 2 sorti l’année d’avant, en 1986, qui s’achevait sur un plateau de télévision qui permettait aux démons de se répandre sur le monde.