Un texte signé Jérôme Pottier

Italie - 1974 - Mario Bava
Titres alternatifs : Kidnapped, Rabid Dogs, Wild Dogs
Interprètes : Riccardo Cucciolla, Lea Lander, Maurice Poli, Luigi Montefiori, Aldo Caponi

retrospective

Cani Arrabiati

C’est en 1974 que Mario Bava (1914-1980) réalise son avant-dernier film pour le cinématographe : CANI ARRABIATI, œuvre qui va subir un sort peu enviable. En effet, à l’image de nombreux protagonistes de ses bobines, ce film de Bava est frappé d’une malédiction terrible, la faillite de son producteur Roberto Loyola ! S’ensuit alors un embrouillamini pour l’acquisition des droits de diffusion dans lequel Lamberto Bava, le rejeton du maître, va se débattre durant plusieurs décennies. Il peut enfin nous livrer aujourd’hui, selon lui, la version définitive de ce thriller rebaptisé KIDNAPPED.

Après un braquage, une bande d’assassins fous furieux (les chiens enragés, tel que l’indiquait le titre de la première ressortie de cette pelloche : RABID DOGS) embarque une femme, un homme et un enfant malade dans leur fuite. Débute alors un huis clos suffocant dont l’espace se limite à l’habitacle d’une automobile…
Et c’est parti pour une heure et trente minutes de sévices et souffrances en tout genre. La force particulière de ce chef-d’œuvre du genre est d’arriver à maintenir une sensation d’oppression, et cela même dans les quelques scènes qui se déroulent hors de la voiture. La réussite en incombe uniquement au talent exceptionnel de Mario Bava qui multiplie les exploits techniques. Il utilise toutes sortes d’objectifs et focales plus ou moins courtes qui induisent une grande variété de plans et permettent au spectateur d’être toujours sous tension. Une tension qui ne faiblit jamais, et cela jusqu’à un dénouement parmi les plus surprenants de l’histoire du thriller.
Un dénouement quelque peu gâché par le remontage effectué par Bava Junior, en effet, il ajoute quelques scènes qui explicitent beaucoup trop le final à venir, il est donc préférable de visionner RABID DOGS avant KIDNAPPED. D’ailleurs, le génial Stelvio Cipriani livre pour ce « cut » une nouvelle bande originale peu excitante qui n’apporte rien au thème de 1974. La première musique du film, excellente, était très inspirée d’une autre de ses compositions : LA POLICE A LES MAINS LIEES, très bon polar réalisé la même année par Luciano Ercoli. Stelvio Cipriani a signé près de 200 B.O. dont celles de LA BAIE SANGLANTE (1971), BLINDMAN LE JUSTICIER AVEUGLE (Ferdinando Baldi-1971) ; l’une de ses plus belles réussites est la partition du méconnu et réussi LA LAME INFERNALE de Massimo Dallamano (1974), mélange unique de thriller politique et de giallo avec le bellâtre Luigi Antonio Guerra.
Luigi Antonio Guerra, habituel second couteau, que l’on retrouve ici dans un rôle d’employé, se voit entouré des trognes les plus patibulaires du Bis transalpin, avec en tête, l’homme qui se bouffe les tripes : George Eastman (Cf. ANTROPOPHAGEOUS de Joe D’Amato-1980). De son vrai nom Luigi Montefiori, cet interprète au physique impressionnant est également un scénariste parfois inspiré (MEFIE-TOI BEN, CHARLIE VEUT TA PEAU de Michele Lupo-1972) et un réalisateur plutôt moyen (2020 TEXAS GLADIATORS-1982), c’est en tout cas l’une des figures les plus attachantes du Bis All’Italiana. Don Backy est l’acolyte de George Eastman, cet acteur plus obscur eut une carrière peu fournie (23 apparitions entre 1963 et 2000), il tourna en 1981 sous la direction de Bernardo Bertolucci (LA TRAGEDIE D’UN HOMME RIDICULE). Ces deux chiens enragés sont sous les ordres d’un des acteurs les plus mémorables du cinéma de genre « rital » : Maurice Poli. Il est apparu dans LE JOUR LE PLUS LONG (Ken Annakin & Cie-1962), SEPT HOMMES EN OR (Marco Vicario-1964), POKER D’AS POUR DJANGO (Roberto Bianchi Monteiro-1967), ON M’APPELLE PROVIDENCE (Giulio Petroni-1972), etc. Etc. Maurice Poli a joué dans beaucoup de bandes sympathiques mais rarement à la hauteur de son talent, RABID DOGS est son meilleur rôle. L’ambigu Riccardo Cucciolla (1924-1999) campe l’otage masculin avec classe et sobriété, ce stakhanoviste du cinéma Italien a tout joué, il est Sacco dans le classique de Giuliano Montaldo SACCO ET VANZETTI (1971), on l’aperçoit aussi bien dans PERVERSION STORY (Lucio Fulci-1969) que dans LE CHATEAU DES OLIVIERS (série télé franchouillarde de 1993). La femme enlevée qui va subir les pires atrocités est campée avec talent par Lea Lander, une interprète qui tourna dans une petite vingtaine de films allant du grand classique (SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN de Mario Bava en 1964, JULIETTE DES ESPRITS de Frederico Fellini en 1965) au Bis le plus débridé (VOIR MALTE ET MOURIR de José Bénazéraf avec Joëlle Cœur en 1974, le très bon sous exorciste L’ANTECHRIST d’Alberto de Martino en 1974). Elle joue un rôle très important dans la ressortie de RABID DOGS puisqu’elle a participé aux actions de rachat des droits.
Cette joyeuse équipe est dirigée de main de maître par le Maestro Mario Bava qui signe ici l’un de ses plus grands longs métrages. Loin des genres qui ont fait sa renommée, le péplum, le giallo et le fantastique gothique, il réalise un thriller parmi les meilleurs des années 70 de par sa maîtrise technique et les thématiques abordées. Grand film pervers et nihiliste qui a failli rester scandaleusement invisible, testament d’un génie méprisé (à l’instar d’Orson Welles ou Robert Aldrich), RABID DOGS est une nouvelle preuve indiscutable qu’en 1980 est mort l’un des artistes les plus importants du vingtième siècle.


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- Article rédigé par : Jérôme Pottier

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