Un texte signé Clément X. Da Gama

USA - 1986 - Buddy Giovinazzo
Interprètes : Rick Giovinazzo,Veronica Stork,Michael Tierno

Dossierretrospective

Combat Shock

Il y a les films produits par de tierces personnes, et les autres. Des œuvres sans commanditaire ni mécène : uniquement financés par les cinéastes et leurs proches, ces films n’existent que par la passion et l’acharnement de leurs créateurs. Le cinéma d’horreur trash regorge de ces œuvres hautement personnelles, portées à bout de bras par des réalisateurs souvent talentueux : Andrew Parkinson et le dépressif MOI ZOMBIE : CHRONIQUE DE LA DOULEUR, Karim Hussain et le magnifique SUBCONSCIOUS CRUELTY, l’inénarrable Jim Van Bebber qui accouchera dans la douleur de THE MANSON FAMILY, et plus récemment Eric Falardeau avec son recommandable THANATOMORPHOSE. En 1986, le jeune Buddy Giovinazzo produit, écrit, monte et met en scène COMBAT SHOCK. Le titre ne ment pas. Encore aujourd’hui, malgré ses 25 ans bien tassés, le film est une véritable déflagration dont on ne sort pas indemne.

Il y a d’abord cette histoire, aussi simple qu’efficace. Un ancien soldat du Vietnam, Frankie, vit ses dernières heures dans une ville-taudis abjecte des Etats-Unis. Le cheveu gras, l’œil hagard, la démarche lente, Frankie zone toute la journée à la recherche d’un emploi qu’il ne trouvera pas. En contrepartie, il est le témoin de la misère ambiante. Un ancien pote, devenu camé, braque les passantes pour financer sa dépendance, et finit par crever dans une allée dégueulasse, abandonnée de Dieu. Un maquereau prostitue des enfants et tabasse ses employées en pleine rue, devant les passants indifférents. Des clochards font les poubelles à chaque coin de rue et se nourrissent de morceaux de viande pleins de vers. Le décor est cru, atroce, suintant la mort et l’abandon économique. Dans ce Pandémonium reaganien, Frankie erre tel un zombie, spectateur d’une horreur qui finira par le consumer.

Il y a également son foyer. Un taudis vomitif qu’il n’arrive plus à supporter financièrement et dont il sera bientôt expulsé. Les murs sont sales, les toilettes bouchées puent la merde, l’eau ne s’écoule plus, les armoires sont vides de nourriture. Et pourtant, c’est bien dans ce cloaque que sa compagne et son fils vivent. Elle est une femme disgracieuse, agressive, reprochant naturellement à Frankie son apathie et son incapacité à subvenir aux besoins de sa famille. L’enfant est un monstre difforme, frangin du fœtus angoissant d’ERASERHEAD, qui passe ses journées à pleurer d’un râle qu’on croirait sorti des limbes. Engendré par l’agent orange auquel Frankie a été exposé durant son séjour au Vietnam, l’enfant n’a pas de nom. Mais il n’en a pas besoin. Il est voué à mourir. Inexorablement. Il est là pour signifier à Frankie combien le futur est mort pour lui et sa famille. Pas de descendance viable, pas d’avenir possible : ne restent que l’agonie de son enfant, et le désespoir de sa pauvreté.

Il y a aussi le Vietnam. Ce conflit auquel Frankie a sacrifié sa jeunesse, et qui lui a coûté sa santé physique et mentale. Torturé par les Viêt-Congs, il en est revenu traumatisé à vie, cauchemardant tous les soirs de cet enfer qu’il n’a jamais vraiment quitté. Sans le vouloir, Frankie replonge régulièrement au front, se remémorant les sévices subis, les corps de ses camarades mutilés jonchant le sol, et la jeune vietnamienne. Cette fille qu’il a tuée sans savoir pourquoi, et dont le visage le hante encore et toujours. Cette fille qui est là pour lui rappeler la laideur de ses crimes guerriers, perpétrés au nom d’un pays qui l’a depuis totalement abandonné. Tiraillé entre le présent infâme de sa vie-poubelle et le passé sanglant des rizières de Saigon, Frankie perd pied. Il devient fou. De la jungle vietnamienne à celle urbaine, le combat reste le même. Le champ de bataille est différent, mais la guerre est toujours là. Et elle réclame toujours son lot de souffrances et de morts.

Il y a enfin le talent de Buddy Giovinazzo. En état de grâce, le cinéaste soigne chaque élément du film, chaque parcelle de l’image et de la bande-son, à tel point que la maigreur du budget et le relatif amateurisme des effets spéciaux sont transcendés par le talent du créateur. Les veines gangrénées du pote junkie qu’il entaille pour mieux se shooter, la musique synthétique lancinante qui accompagne la dérive de Frankie, les hurlements inhumains du bébé qui crie sa douleur d’être monstrueux, les explosions de napalm qui se superposent au visage halluciné du héros : tout concourt à la cohésion de cet univers en détresse où la crasse et la violence règnent en maîtres absolus. Et lorsque Frankie trouve une arme à feu, Giovinazzo ose l’impensable, et offre l’un des finals les plus jusqu’au-boutistes que l’on puisse concevoir.

Il y a les films qui usurpent leur réputation, et les autres. COMBAT SHOCK est à juste titre une référence du cinéma indépendant trash. Si Giovinazzo nous proposera par la suite des œuvres très appréciables (NO WAY HOME, LIFE IS HOT IN CRACKTOWN), il ne retrouvera jamais la puissance nihiliste de son premier film. Esthétique poisseuse qui évite le misérabilisme, violence sourde sans être outrancière, propos social, économique et politique évident mais qui n’est jamais démonstratif : Giovinazzo réussit là où beaucoup de cinéastes (indépendants ou non) se plantent lamentablement. COMBAT SHOCK est et restera un grand film.


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- Article rédigé par : Clément X. Da Gama

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